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"Fille-Garçon, même éducation", le manuel de parentalité féministe qu'on attendait
Publié le 20 avril 2020 à 19:23
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet livrent "Fille-Garçon, même éducation", un manuel bien ficelé pour élever ses enfants en évitant au maximum les pièges patriarcaux. Les mots d'ordre : déculpabilisation et égalité. Rencontre.
"Fille-Garçon, même éducation", l'ouvrage déculpabilisant qui prône l'égalité à la maison "Fille-Garçon, même éducation", l'ouvrage déculpabilisant qui prône l'égalité à la maison© Marabout
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Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet sont les deux autrices féministes derrière Fille-Garçon, même éducation - Guide pour une parentalité féministe de 0 à 3 ans. Il y a deux ans, alors enceintes en même temps, elles écrivaient Le guide féministe de la grossesse (ed. Marabout), pour répondre à leurs propres questions et combler le manque notoire de manuels progressistes sur le sujet. Si elles reviennent aujourd'hui, c'est pour exposer une vérité malheureusement encore peu évidente : l'éducation genrée est à la base des inégalités.

En apprenant aux garçons à se comporter d'une certaine façon, et aux filles à adopter une attitude différente, souvent plus introvertie, on trace, inconsciemment, le chemin néfaste de la discrimination et des rôles réducteurs dans lesquels la société enferme ses citoyen·ne·s - et, par la force des choses, les parents. Un combat de taille qui se dessine très justement dans un ouvrage déculpabilisant, pratique et accessible. "L'égalité doit être pour tout le monde", lance d'ailleurs Pihla Hintikka lors de notre échange.

A travers des témoignages percutants, personnels ou non, des explications ludiques et des conseils bienveillants, les deux femmes signent un mode d'emploi tout en suggestions. Elles ne tombent pas dans le culte de l'ultra-performance, déconstruisent la parentalité avec brio, et évitent le piège de remplacer de vieilles injonctions par des nouvelles. "Il reste très difficile, dans ce monde plein d'attentes, de prendre ses propres décisions", poursuit Pihla Hintikka, qui insiste sur la notion de "liberté de choix", cruciale à leurs yeux, qu'elles ont souhaité faire passer aux lecteurs et lectrices au fil des pages. On a discuté avec elles pour en savoir plus sur ce lien indéfectible entre éducation et égalité, et décortiquer la pression que subissent encore les mères au quotidien.

Elisa Rigoulet et Pihla Hintikka © Morgan Roudaut
Terrafemina : Ce livre est-il une façon de tordre le coup aux injonctions, aussi bien de genre que parentales ?

Elisa Rigoulet : Oui, c'est tout à fait ça, il y a ces deux dimensions. Beaucoup d'injonctions pèsent sur les parents en matière d'éducation.Tout ça est aussi extrêmement lié à la question du genre car, malheureusement, les mères les subissent souvent plus que les pères. La construction sociale du masculin et du féminin fait que les femmes ont également davantage tendance à culpabiliser lorsqu'il s'agit de l'éducation de leurs enfants. Et la société à faire reposer la responsabilité de la parentalité et de l'éducation sur les mères en priorité.

En tant que femmes, on n'y est pas sensible de la même manière, si on se compare aux hommes. Exemple personnel : en ce moment, je suis en train d'essayer d'apprendre la propreté à mon fils. Ça m'obsède, j'ai même parfois l'impression d'être possédée par l'angoisse qu'il n'y arrive pas ! Et je n'ai pas l'impression que mon mari soit pris de la même angoisse (rires). Il est persuadé qu'il n'y aura pas de problème et je ne sais pas pourquoi, moi, je suis en panique.

Pihla Hintikka : C'est parce que tu es une mère. Socialement, il y a effectivement cette responsabilité énorme qui pèse sur les épaules des mamans : tout ce qui arrive aux enfants semble être de leur faute. En plus de cela, il y a aussi les injonctions liées aux pères. Ceux qui veulent en faire davantage, on les condamne aussi à un petit rôle d'assistant, très souvent. Les parents ne sont pas égaux face à la responsabilité familiale. Les attentes ne sont pas égales, la loi n'est pas égale, les congés parentaux ne sont pas égaux. En plus des constructions sociales autour des filles et des garçons, il faut aussi aborder celles qui restreignent les parents.

En quoi le cliché de "la bonne mère" est-il nocif ?

P. H. : Pour la simple raison que le cliché de la "bonne mère" ne veut rien dire et que sa représentation réelle n'existe pas. Il faudrait oublier cette idée de la mère parfaite. C'est complètement arbitraire. Cela sert simplement à créer une culpabilité qui n'est pas du tout nécessaire car on finit par courir après cette image irréalisable. Toutes les femmes devraient avoir le droit de choisir leur propre maternité. Tous les enfants sont différents mais toutes les mères aussi. Et on devrait avoir la liberté de devenir la mère que l'on souhaite être. Le cliché de la "bonne mère" nous fait croire que l'on peut tout faire et surtout, que l'on devrait pouvoir tout faire. Alors qu'on sait toutes et tous que ce n'est pas possible, et ça ne devrait pas être le but. Et à côté de ça, il suffit qu'un père soit présent normalement, agisse comme un parent, pour qu'on lui donne une médaille. Alors que pour les femmes, ce n'est jamais assez.

E. R. : L'image de la "bonne mère" évolue tout le temps en fonction des sociétés, de l'Histoire, des cultures. Ce n'est pas la même image en 1950 qu'en 2020. C'est jouer sur cette culpabilité originelle de la femme. En 2020, on glorifie l'ultra-performance. Il faut s'occuper de ses enfants et travailler, sinon ce n'est pas bien vu, faire du sport, avoir une vie sociale et amoureuse très épanouie. Il faut faire sa propre compote bio : c'est un délire, la liste est à rallonge. Ce cliché renvoie à notre échec permanent. En période de confinement, on le voit sur les réseaux sociaux : occuper ses enfants est devenu une démonstration de performance. Et on ne peut pas ne pas jouer à ce jeu, on ne peut pas y échapper. Encore une fois, c'est une injonction dédiée à la femme car le cliché du bon père n'existe pas.

Extrait de "Fille - Garçon, même éducation", d'Elisa Rigoulet et Pihla Hintikka © Marabout
Pour vous, l'égalité hommes-femmes sera-t-elle seulement acquise si on change l'éducation des plus petit·e·s ?

P. H. : C'est la base de notre livre car aujourd'hui, on parle beaucoup des inégalités hommes-femmes, des violences faites aux femmes et c'est essentiel. Mais il faudrait aller à la source de ces problématiques. Les inégalités s'installent dès l'âge de la crèche. En début d'année, une étude a montré que dans des pays extrêmement différents les uns des autres, à partir de 4 ans, garçons et filles associent le pouvoir au masculin. On ne peut plus nier le fait qu'il faut attaquer l'éducation. Ce n'est pas uniquement la responsabilité des parents, mais les inégalités viennent aussi de l'enfance, quand on apprend aux garçons qu'ils peuvent avoir plus d'ambition, qu'ils ont le droit d'être plus turbulents. Aux filles qu'il faut être sage et rester à sa place. Cela les dirige dès l'enfance dans des rôles qui sont reproduits plus tard. Et c'est ce qu'on essaie de montrer dans notre livre : il y a un lien indéniable entre l'éducation et les inégalités.

E. R. : La construction de ce qui est dit "masculin" ou "féminin" commence dès la toute petite enfance. Dès 18 mois, il va y avoir des différences notables dans la manière dont les adultes vont se comporter avec les petites filles et les petits garçons. On peut totalement imaginer qu'en valorisant certaines qualités chez les filles et d'autres chez les garçons, on prépare le monde genré de demain. Avec des garçons qui vont être dans la recherche de la performance, si on synthétise grossièrement, et les filles dans les émotions, l'expression du langage. Ce qui explique que beaucoup d'hommes aient du mal à parler de ce qu'ils ressentent par exemple.

Aujourd'hui, c'est le bon moment d'aborder ces questions-là : on parle énormément des inégalités entre les hommes et les femmes et c'est très bien, mais on a encore du mal à faire le lien avec l'éducation des enfants. Je pense qu'il y a des parents tout à fait sensibles aux inégalités hommes-femmes qui veulent se battre pour plus de justice, et en même temps éduquent leurs enfants de manières très différentes selon leur genre. Tout cela reste parfois très inconscient. On aura beau faire passer des lois, si on ne change pas notre vision de l'éducation - parentale mais aussi nationale - on ne progressera pas.

Sommes-nous sur la bonne voie ?

P. H. : Il reste beaucoup de choses à faire. Il faudrait déjà s'attaquer au congé parental - qui passe le message que les femmes doivent s'occuper de leurs enfants, les hommes de leur carrière - et mettre en place des formations pour le personnel de la petite enfance. Mais briser les normes brise aussi un sentiment de sécurité. On n'est pas là pour juger les parents, on est tous et toutes des résultats de la société patriarcal, on fait ce qu'on peut. On voudrait simplement que les pères et les mères puissent eux-mêmes sortir des injonctions qu'ils ont intériorisées.

E. R. : Il faut aussi une prise de conscience. On est peu nombreux à être intéressés par ce genre de sujet, beaucoup de gens ne comprennent pas en quoi c'est intéressant, et argumentent qu'il y a plus grave dans le monde. Alors que pas tant que ça, car l'éducation genrée est à la base de beaucoup de fléaux. Finalement, c'est un problème très grave. Mais dès que l'on touche au rôle des parents, et précisément à celui de la mère, on touche à quelque chose d'intime et de sensible.

Fille-Garçon, même éducation, d'Elisa Rigoulet et Pihla Hintikka. Editions Marabout

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