Linda Ben Osman : La campagne a commencé officiellement il y a 15 jours, mais nous sommes abreuvés de débats télévisés tous les soirs et de meetings. J’avoue qu’on a frôlé l’overdose, nous ne sommes pas habitués à un tel rythme d’activité politique. Le vrai point positif, c’est que je ressens une grande volonté d’engagement. Beaucoup de Tunisiens cherchent à se politiser d’une façon ou d’une autre : à chaque fois que je rencontre quelqu’un, il me dit qu’il s’est inscrit dans un parti ou qu’il se présente sur une liste.
L. B. O. : Très sincèrement cela ne m’inquiète pas outre-mesure. Comme on dit ici, ce sont des personnes qui font du « show off », une démonstration supposée faire peur et derrière laquelle peut se cacher n’importe qui. Impossible de mettre cela sur le compte de tel ou tel groupe. Ennahda, le parti conservatiste religieux, a été cité, mais je ne pense pas que ses responsables auraient risqué de perdre des électeurs à quelques jours de l’échéance. Les apparences désignent les salafistes, mais là encore, les théories sont nombreuses, et certains pourraient avoir un intérêt à ce que l’on croie les salafistes responsables…
L. B. O. : Ce sont les partis historiques qui sont les plus visibles, les gens les connaissent bien. Nous les appelons les « Big Four » : le Pôle Démocratique Moderniste, le parti Takatol (fdtl), le Parti Démocrate Progressiste, et le parti religieux Ennahda. Mais on peut compter sur la représentation des petites formations grâce à la représentation proportionnelle avec le système des « plus grands restes », qui favorise la pluralité. Les indépendants, moins visibles, comptent sur la proximité, je pense qu’ils remporteront un certain succès dans les régions plus que dans les villes.
L. B. O. : Ennahda aura probablement le plus grand nombre de votants, mais il n’aura jamais la majorité, pas plus du tiers des voix selon moi. Ce parti rencontre une grande audience, parce que sous Ben Ali les musulmans étaient suivis et fichés par le régime qui avait une peur bleue de l’extrémisme. Mais ce parti fait peur à une large frange de la population, parce qu’on ne sait pas vraiment ce qu’il veut. Il refuse de se dire islamiste alors qu’il l’est, et cultive un double-discours. Comme le Front National en France, nous devrons faire avec, quoi qu’il arrive.
L. B. O. : C’est vrai, mais il s’agit d’une actualisation des anciennes listes électorales qui étaient faussées par les fraudes. Tous les électeurs pourront tout de même aller voter, et le suspense reste entier sur la participation. Au-delà des résultats, la mobilisation représente en effet l’enjeu crucial de ces élections, qui vont prendre la température de l’après-révolution. Il y a des appels au boycott dans le pays, car certains ont peur des fraudes, et aussi un manque d’intérêt. Ce sont les séquelles du régime de Ben Ali, nous avons été habitués à la passivité, et il est difficile pour certains d’en sortir pour aller chercher leur candidat.
L. B. O. : Conformément à la loi, toutes les listes sont paritaires et respectent l’alternance hiérarchique. Néanmoins il y a très peu de têtes de liste femmes. Seul le Pôle Démocratique Moderniste est parvenu à afficher 15 listes dirigées par des femmes et 15 listes dirigées par des hommes. Il n’y a pas eu de véritable incitation adressée aux femmes pour qu’elles se mobilisent, et les partis ont avoué leur échec sur ce point. L’assemblée constituante comptera des femmes, mais on sera encore loin de la parité.
Crédit photo : Linda Ben Osman
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