Si vous n'êtes pas un adepte de l'entomophagie, il est très probable que lorsqu'on vous propose de manger des insectes, vous pensiez immédiatement à la scène de film qui vous a traumatisée enfant, le fameux banquet d'"Indiana Jones et le Temple maudit" où l'aventurier et sa petite équipe sont forcés de manger des scorpions, des scarabées géants et des larves. Cela résume bien notre répulsion pour les insectes en tout genre. On a beau savoir que 2,5 milliards de personnes dans le monde en consomment régulièrement et que nos ancêtres, les Grecs et les Romains, se régalaient avec des sauterelles plongées dans du miel sauvage, en Europe et en Amérique du Nord, les insectes sont associés à la mort, à la saleté, et au recyclage des déchets. Rien de très ragoûtant donc.
Et pourtant, les insectes rampent doucement jusque nos assiettes. L'entomophagie (ou le fait pour un être humain de consommer des insectes) est la nouvelle tendance qui affole les foodies. En barres énergétiques, réduits en farines ou simplement grillés pour accompagner un plat, on voit de plus en plus de restaurants et de food addicts tenter d'incorporer des insectes à notre régime alimentaire habituel et tenter de dépasser le tabou occidental qui entache la réputation de ces petites bêtes. Devrions-tous alors nous mettre à commander des petits sachets de larves séchées pour en agrémenter notre risotto ? Pourquoi cet engouement ?
Le fait est qu'il va sans doute falloir faire fi de votre phobie des araignées : les insectes pourraient être l'avenir de notre alimentation. En effet, le 13 mai 2015, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a mis l'accent sur l'énorme marché potentiel que représentaient les insectes pour lutter contre la faim alors que nous devrions être 9 milliards sur Terre d'ici 2050 : "Les produits forestiers, insectes compris, sont essentiels à la lutte contre la faim". Or sachant que "les surfaces des terrains agricoles ont tendance à diminuer, il y a un besoin urgent de trouver de nouvelles sources de protéines" expliquait en mai 2013 à Slate Patrick Lhomme , professeur d'écologie à l'université de Mons en Belgique.
Et les insectes apparaissent comme une des solutions possibles pour ce problème. Ils représentent un réservoir de nourriture saine et variée qui demeure encore complètement inexploité chez nous. Remplacer la viande animale comme le boeuf par des fourmis et des criquets aurait de nombreux avantages. Tout d'abord, les insectes représentent 80% de la biomasse : comme ils sont en bas de la chaîne alimentaire, ils se reproduisent vite et beaucoup. Leur population se régénère très rapidement, ce qui est pratique en cas d'élevage intensif, et demande peu de place, d'eau ou de nourriture pour cela : "Pour seulement deux kilos de végétaux, on peut produire un kilo d'insectes, alors qu'il en faut huit pour produire un kilo de viande de boeuf" rappelle le docteur Lhomme. L'empreinte carbone d'un kilo de boeuf serait même quatre fois supérieure à celle d'un kilo de sauterelles. Introduire les insectes dans notre régime alimentaire serait une manière de résoudre le problème de lutte contre la faim dans le monde sans pour autant compromettre notre environnement. Et oui : manger des insectes, c'est éco-friendly !
En ce qui concerne les valeurs nutritives des insectes, le bilan est tout aussi positif : il suffit de comparer. 100g de boeuf nous apportent 26g de protéines ; 100g de cabillaud, 18, et 100g de criquets nous offrent 30g de protéines. Les insectes sont largement à la hauteur des viandes animales en ce qui concerne l'apport en protéines. De plus, à l'exception des termites ou des larves, les insectes sont exceptionnellement peu gras : ils représentent donc une nourriture saine et rassasiante.
Cependant, il y a une bonne raison pour laquelle on ne trouve pas encore de beignets de grillons dans toutes les assiettes, au-delà de la persistance du tabou culturel. Certes, il y a bien 30g de protéines dans 100g de criquets. Mais c'est léger, un insecte...Si 100g de boeuf représente un petit steak, 100g de criquets représentent un demi-seau de ces petites bestioles ! Et si on peut accepter l'idée d'avaler une petite brochette d'insectes ou une barre énergétique aux larves une fois par jour, devoir consommer une telle quantité d'insectes pour avoir une dose acceptable de protéines nous paraît pour le moins peu tentant... Et même si l'envie nous prenait d'ingérer un saladier par jour de termites, il faudrait faire une croix sur nos vacances en Grèce de cet été. En effet, il faut compter parfois jusqu'40 euros pour 100g d'insectes. La production reste très limitée en France et les commandes sur Internet par le biais de sites comme mangeonsdesinsectes.com sont encore relativement onéreuses. S'il faut donc relativiser l'engouement autour de cette tendance food pour le moins originale, manger des insectes est tout de même une alternative intéressante pour changer nos habitudes de consommation et être plus éco-responsables sans compromettre sa santé.
Cette tendance demeure très récente et est encore mal exploitée, mais des concepts intéressants émergent progressivement. Comme le rappelle le docteur Lhomme dans son interview pour Slate: " L'insecte n'est pas la solution miracle mais peut clairement apporter sa pierre en diversifiant les sources d'approvisionnement en protéines et en relocalisant la production près de sa source". Par exemple, la société française Ynsect travaille sur des farines destinées aux animaux à base de scarabée (Tenebrio molitor, notre ver de farine) et de mouche (Hermetia illucens). Ces farines permettraient de nourrir les animaux d'élevage à moindre coût et sans avoir à dépendre des récoltes de blé, de maïs ou de colza qui nécessitent une agriculture extensive et une irrigation très importante. Son fondateur, Jean-Gabriel Levon, a avoué en interview pour l'Ecole Polytechnique ne pas exclure de passer un jour à la production pour l'alimentation humaine sous forme de farines - plus faciles à intégrer dans notre alimentation que des petits scorpions poêlés et tout autre insecte entier...
En attendant, on peut dénicher quelques recettes intéressantes sur insectescomestibles.fr, une véritable bible pour ceux qui souhaitent sauter le pas. Pour commencer, optez pour les criquets : ils absorbent complètement le goût des aliments avec lesquels on les cuisine, ce qui aide un peu à les oublier si l'idée de manger des insectes vous rebute toujours un peu. Et quoiqu'il en soit, n'oubliez pas que ce n'est pas la petite bête qui va manger la grosse !