Culture
"Tout peut changer" nous rappelle pourquoi Geena Davis est si inspirante
Publié le 18 février 2020 à 18:05
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
"Tout peut changer" dresse le cinglant portrait d'une industrie hollywoodienne pas très girl power : le sexisme et les inégalités professionnelles y perdurent. Produit par Geena Davis, qui est aussi l'une des principales intervenantes, ce documentaire engagé nous rappelle surtout l'actrice mythique de "Thelma et Louise" est si inspirante.
Au coeur de "Tout peut changer", Geena Davis fait résonner sa voix féministe. Au coeur de "Tout peut changer", Geena Davis fait résonner sa voix féministe.© BestImage
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"Ce qui est bon pour les femmes est bon pour le monde". C'est une punchline qui a des airs de slogan politique : on la croirait tout droit sortie de la bouche d'une Hillary Clinton ou d'une Michelle Obama. Mais non, c'est à Geena Davis que nous la devons. La comédienne qui a hanté notre jeunesse cinéphile (de Thelma et Louise à Beetlejuice) est l'une des principales intervenantes du documentaire Tout peut changer, où elle tire le constat d'un Hollywood toujours aussi peu paritaire et toujours plus sexiste. Surtout, elle en est la productrice, portant sur ses épaules une réflexion essentielle sur les décennies de discriminations vécues par les femmes, devant et derrière la caméra.

Dans Tout peut changer, les voix s'enlacent (celles de Natalie Portman, Jessica Chastain, Meryl Streep...) et les thèmes aussi, de l'hyper-sexualisation des jeunes actrices à leur sous-représentation à tous les postes du divertissement (qu'il s'agisse d'être réalisatrice, cadreuse, assistante), des affaires de harcèlement et agressions sexuels aux stéréotypes misogynes qui encombrent bien des fictions. Le réalisateur Tom Donahue dresse le portrait d'une usine à rêves qui, malgré la déferlante #MeToo et les fracassants appels à l'égalité professionnelle (comme le mouvement Time's Up) a encore bien des leçons de féminisme à retenir.

Oscillant entre l'espoir et la désillusion, les rappels historiques (sur la place des femmes de pouvoir dans le cinéma muet par exemple) et les témoignages contemporains bien chocs, Tout peut changer est un édifiant état des lieux, enrichi par les recherches alertes de Geena Davis. Une actrice emblématique, oui, mais surtout une vraie militante qui, comme nous le rappelle Tout peut changer, nous inspire toujours autant. Et voici pourquoi.

Parce que "Thelma et Louise"
"Thelma et Louise", un film majeur. © MGM

Difficile de se dire que Thelma et Louise a déjà 28 ans, tant le film nous semble moderne, et son influence sur le paysage culturel intact. Et pourtant ! Amusant également de se dire que l'une des oeuvres les plus féministes des années 90 a été réalisé par un homme, en la personne de Ridley Scott. Mais Thelma et Louise, c'est aussi et surtout un duo d'actrices alchimique au possible : Geena Davis et Susan Sarandon. Sur le plateau de tournage, relate Franceinfo, le metteur en scène souhaitait que Thelma (c'est-à-dire Geena) retire le haut le temps d'une scène. Refus net ! Davis avait déjà l'âme d'une militante. Et semblait consciente que tout, dans Thelma et Louise, devait correspondre à ce que la critique Iris Brey intitule le female gaze : à savoir, aux antipodes du regard masculin qui objectifie, une immersion dans l'expérience des femmes... et leur émancipation, jubilatoire.

Et cette émancipation hante Tout peut changer, qui nous rappelle (et c'est une très bonne chose) que la force de ce film pop émane aussi du talent de sa scénariste, Callie Khouri. Une femme de talent qui, trop longtemps éclipsée par le plus médiatisé Ridley Scott, a enfin droit à la lumière. Dans le documentaire, Geena Davis relate son parcours et, surprise, c'est encore une quête de liberté qui l'irrigue. Après avoir débuté sa carrière en tant que mannequin, l'actrice est choisie par Sydney Pollack pour jouer dans Tootsie, aux côtés de Dustin Hoffman. Le désir des hommes est bien présent : une scène cocasse la voit apparaître en lingerie. Mais peu à peu, un film après l'autre et le succès aidant, Geena Davis va se jouer de cette omniprésence masculine qui volontiers sexualise les femmes, leur attribue des rôles plutôt étroits et des étiquettes genrées. Et faire entendre sa voix.

Ses rôles seront tantôt girl power à souhait (elle incarne l'étoile montante d'une équipe féminine de base ball dans Une équipe hors du commun avec Tom Hanks) tantôt badass au possible (Au revoir à jamais l'érige en tueuse impitoyable), quand Davis n'embrasse pas carrément une forme de bizarrerie qui déboulonne les codes hollywoodiens (en pénétrant le monde burtonien de Beetlejuice). Et oui, tout peut changer !

Parce que c'est une grande militante
"Tout peut changer" : Geena Davis, actrice, comédienne, militante. © Alba Films

Pour dénoncer les inégalités qui perdurent à Hollywood, le réalisateur Tom Donahue choisit la plus solide des armes : la data ! Des données, il y en a plein dans Tout peut changer. Et parmi elles, celles que collecte Geena Davis depuis 2004 à travers le Geena Davis Institute Of Gender in Media, un organisme de recherche dédié aux enjeux de représentation des femmes dans le secteur du divertissement. Et le sexisme ordinaire commence très tôt. L'actrice s'est effectivement rendue compte que les dessins animés que visionnaient ses enfants manquaient déjà sérieusement de personnages féminins : il y aurait dans ces cartoons un personnage féminin pour trois masculins.

Combler cette disparité n'est donc pas qu'une question d'égalité, c'est une question d'éducation. Et de "role models". Car à qui les petites filles peuvent-elle au juste s'identifier si elles sont les grandes absentes des dessins animés qu'elles visionnent ? Les conséquences de ce vide sont multiples. L'autodépréciation, le manque d'inspiration, de motivation. Qu'il s'agisse de la faible écriture des comédies romantiques ou de l'assignation des personnages féminins au rôle de la petite amie, rien n'incite les spectatrices à renverser les stigmates. L'empowerment semble relégué au rang des figurants.

"Grâce à Geena et à son équipe, j'ai fini par comprendre l'impact considérable que peuvent avoir les inégalités entre hommes et femmes sur le monde, dans le petit milieu hollywoodien. Lorsque 50 % des membres d'une société ne peuvent pas se faire entendre, c'est toute la culture qui en pâtit. Cela revient à abandonner cette société à une domination masculine toxique qui confie le pouvoir à des gens qui ne travaillent pas dans l'intérêt général", s'attristait en ce sens le réalisateur Tom Donahue lors de la promotion du film.

Parce qu'elle fait (vraiment) bouger les lignes
Geena Davis, une voix qui fait bouger les lignes. © BestImage

"Le grand changement après #MeToo est qu'aujourd'hui, on peut enfin parler", déclare Geena Davis. C'est d'ailleurs là la force du documentaire : convoquer les voix d'actrices, réalisatrices, productrices et créatrices de séries télévisées (comme l'iconique Shonda Rhimes, la showrunneuse des séries Grey's Anatomy, Scandal et Private Practice) afin que celles-ci partagent leurs expériences. Réunis comme les pièces d'un puzzle, ces témoignages aboutissent au même constat : les femmes sont trop peu entendues. Inégalités salariales, manque de diversité au sein des équipes techniques, constitution monochrome de décideurs embrassant à pleine bouche le phénomène de "boys club"... La liste est longue.

Mais tout n'est pas perdu. Tout peut changer met par exemple en avant les ambitions de John Landgraf, le bigboss de la chaîne FX. En prenant conscience de ses privilèges d'homme blanc et des discriminations qui parasitent les productions télévisuelles, le patron a mis en place un plan d'embauche paritaire. Résultats ? Les audiences des dernières séries télévisées FX - plus diversifiées et audacieuses - n'en ont été que plus belles.

Et Geena Davis, elle aussi, fait bouger les lignes. "[Pour améliorer les choses], Je travaille sur la représentation des femmes et des petites filles à l'écran. L'objectif est d'atteindre la parité hommes-femmes sur les écrans, particulièrement dans les programmes regardés par les enfants. Ils doivent voir des personnages féminins accomplir des choses importantes. Nous voulons que le cinéma soit le reflet du vrai monde, qui est à moitié féminin et très divers", clame-t-elle dans les pages du Monde.

Le travail de la comédienne est loin d'être ignoré. L'an dernier, Geena Davis a reçu un Oscar honorifique pour son entreprise contre les inégalités au sein de la sphère professionnelle : le Prix humanitaire Jean Hersholt. Il est réservé, précise CNN, à celles et ceux "dont le travail humanitaire fait la différence dans l'industrie". Après la reconnaissance, la militante attend les actes. Chaque année, le Geena Davis Institute on Gender In Media organise à ce titre un grand événement réunissant décideurs et créateurs. Les leaders sont ainsi amenés à proposer des initiatives pour bousculer les choses.

De quoi rappeler ce qu'énonce Meryl Streep dans Tout peut changer : "La situation ne pourra évoluer que lorsque les hommes prendront position".

Parce qu'elle a ses fières héritières
"Tout peut changer". L'égalité serait-elle un rêve à Hollywood ? © Alba Films

Et en attendant que plus de mecs s'en mêlent, ce sont les mots des femmes qui résonnent. Qu'il s'agisse de ceux de Natalie Portman qui, revenant sur son expérience du film Léon, s'attriste d'avoir trop tôt découvert le fantasme de la femme-objet, à ceux de Chloe Grace Moretz (Kick-Ass), révélant une anecdote édifiante (alors qu'elle n'avait que quinze ans, des décideurs avaient cru bon de rembourrer son soutien-gorge afin de sexualiser son personnage), en passant par les propos de la solaire Reese Witherspoon (qui se plaît à tacler le sexisme ordinaire dans des films comme La revanche d'une blonde), les comédiennes règlent leurs pas sur celui d'une Geena Davis qui n'hésite plus à fustiger le revers de l'usine à rêves.

Alors, tout peut changer, vraiment ? La comédienne n'en est pas persuadée. Quand Thelma et Louise est sorti en salles, médias et critiques se sont acharnés à le clamer : la révolution est en marche et désormais, les femmes auront plus de pouvoir à Hollywood. Mais au final, pas de grand bouleversement. Idem à chaque succès populaire d'un film "empouvoirant" en diable, de Rebelle à Wonder Woman en passant par Hunger Games.

Mais la productrice n'est pas pessimiste pour autant. Pourquoi ? Car elle croit fort au "CSI effect", c'est-à-dire, "l'effet Les experts". Le succès de la série éponyme a effectivement encouragé les jeunes filles à envisager une carrière dans la police scientifique. Et de même, influencées par la Jennifer Lawrence de Hunger Games, plus de filles encore se sont mises au tir à l'arc - une pratique que vénère d'ailleurs Geena Davis. Quand bien même les récits de femmes "badass" ne peuvent suffire à combler les failles, elles éveillent tout de même des vocations, façonnent des inspirations aux quatre coins du monde. Et, peut-être, de futures Geena Davis en puissance.

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