Ce dimanche 2 février avait lieu la 92e cérémonie des Oscars, à Los Angeles. Et encore une fois, le constat était aberrant : aucune femme réalisatrice nommée pour l'Oscar de "Best Director" (meilleur réalisateur). Pourtant, ce n'est pas faute de candidates qui y méritaient leur place. Notamment Céline Sciamma, à qui l'on doit Portrait de la jeune fille en feu, avec Adèle Haenel, puisque la compétition américaine s'ouvre à toutes les nationalités.
Cette inégalité, Natalie Portman a voulu la dénoncer. Le soir de la cérémonie, l'actrice s'est présentée sur le tapis rouge vêtue d'une robe Dior noire et dorée avec cape assortie. Petit détail qui n'est pas passé inaperçu : sur la bordure de son pardessus figurent, brodés de fils d'or, les noms des réalisatrices qui, selon l'actrice, auraient dû se retrouver dans la liste. "Je voulais reconnaître à ma manière subtile les femmes qui n'ont pas été reconnues pour leur incroyable travail cette année", explique-t-elle le soir-même à la journaliste Amy Kaufman qui l'interroge sur sa tenue. Un bel exemple de sororité.
Seulement voilà, reconnaître les femmes dans l'industrie du cinéma passe aussi par leur donner davantage de place quand on a la possibilité de le faire. Et Natalie Portman, qui possède sa propre société de production Handsomecharlie Films, n'a jusque-là embauché qu'une seule réalisatrice à la tête des huit longs métrages aboutis : elle-même. Ce double standard n'a pas manqué d'agacer l'actrice Rose McGowan, pionnière du mouvement #MeToo, qui se bat au quotidien pour la cause féministe.
Sur Facebook, elle réagit aux articles qui qualifient l'acte de Natalie Portman de "courageux". "Courageux ? Non, pas du tout. On est plutôt sur une actrice qui joue le rôle de quelqu'un qui en a quelque chose à faire. Comme la plupart d'entre elles le font. Je trouve le type d'activisme de Portman profondément offensant pour nous qui faisons tout le travail. Je n'écris pas ça par amertume, mais par dégoût".
Elle poursuit en s'adressant directement à l'actrice-réalisatrice : "Natalie, tu n'as tourné qu'avec deux femmes réalisatrices dans ta longue carrière – l'une d'entre elles était toi. Tu as une société de production qui n'a engagé qu'une seule femme réalisatrice – toi. Quel est le souci avec les actrices de votre catégorie ? Vous, les têtes d'affiche, pourriez changer le monde si vous preniez position plutôt que d'incarner le problème. Oui, toi, Natalie. Tu es le problème. L'hypocrisie est le problème. Le faux soutien à d'autres femmes est le problème".
Elle rappelle ensuite son propre engagement, et lui intime de faire retranscrire son activisme par le biais d'actions concrètes, plutôt que sur un vêtement. "Je serai toujours là pour faire entendre ma voix et me battre sans compensation pour que les choses changent", conclut-elle. "C'est ça, l'activisme. En attendant que tes consoeurs actrices soient elles aussi plus vraies, fais nous une faveur et range ton manteau activiste brodé, il fait tâche". Le message est clair. Et on le retrouve aussi sur les réseaux sociaux.
"J'en ai tellement marre que le féminisme (blanc) performatif soit applaudi, surtout quand Natalie Portman a une société de production qui n'a jamais embauché qu'une (1) seule femme réalisatrice : ELLE-MÊME", peut-on lire sur Twitter. "Ce que je trouve drôle, c'est que Natalie Portman a engagé 0 (zéro) femme pour réaliser les films produits avec sa propre société de production", écrit un autre internaute. "Je pense qu'il y a environ 7 films dans sa société, elle a engagé des réalisateurs masculins pour chacun d'entre eux. Les hypocrites d'Hollywood sont amusants."
Devant les critiques, l'internaute derrière le compte Twitter Women Film Directors a jugé bon de rappeler quelques faits concernant la carrière de Natalie Portman, et son investissement pour la cause des femmes réalisatrices. Elle liste ainsi les fois où l'actrice s'est battue pour qu'une femme soit derrière la caméra, et celles avec qui elle a tourné (dont la Française Rebecca Zlotowski, dans Planetarium).
"Je ne sais pas pourquoi ça ne marche pas, mais au moins, elle essaie", écrit Women Film Directors. "Il y a beaucoup d'acteurs-producteurs masculins qui ont réussi et qui n'ont pas travaillé avec une seule femme réalisatrice depuis des décennies, voire jamais, et j'aimerais qu'ils soient davantage examinés qu'une femme qui défend d'autres femmes travaillant dans son domaine."
Dans l'industrie du cinéma américain, les inégalités de genre sont frappantes. En 2017, 88 % des 250 films sortis ont été dirigés par des hommes, rapporte The Atlantic. Un écart creusé par un manque certain de parité, de représentation, et donc d'opportunités pour les femmes cinéastes. En France, aux César 2020, Céline Sciamma est la seule femme à figurer parmi les huit nommé·es des catégories meilleur film et meilleur réalisateur. Roman Polanski, réalisateur accusé de viol, récolte quant à lui douze nominations pour son film J'accuse.
Mise à jour du 13/02/2020 :
Natalie Portman a répondu aux critiques de sa consoeur dans un échange avec Variety. Elle avoue que le mot "courage" est mal choisi. "Le courage est un terme que j'associe plus à des actions comme celles des femmes qui ont témoigné contre Harvey Weinstein ces dernières semaines, sous une pression incroyable", confie-t-elle.
Elle poursuit : "Il est vrai que je n'ai fait que quelques films avec des femmes. Au cours de ma longue carrière, je n'ai eu la chance de travailler avec des réalisatrices que quelques fois - j'ai fait des courts métrages, des publicités, des clips et des longs métrages avec Marya Cohen, Mira Nair, Rebecca Zlotowski, Anna Rose Holmer, Sofia Coppola, Shirin Neshat et moi-même. Malheureusement, les films non réalisés que j'ai essayé de faire sont une histoire de fantômes".
Après avoir dénoncé le plafond de verre auquel se heurtent les cinéastes femmes, elle assure avoir essayé et qu'elle continuera à le faire. "Bien que je n'aie pas encore réussi, j'espère que nous entrons dans un nouveau jour", conclut-elle.