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Harcèlement scolaire : "Les réseaux sociaux aggravent ce fléau"
Publié le 10 février 2015 à 16:09
Par Marie-Laure Makouke
Alors que 10% des élèves français se disent victimes de harcèlement à l’école, France 2 consacre ce 10 février une journée spéciale à ce fléau qui incite 61% des victimes à avoir des idées suicidaires. Mais qu’entend-on réellement par harcèlement scolaire et comment le prévenir ? Hélène Molière, psychanalyste et psychothérapeute pour enfants à Paris, auteur de l’ouvrage « Harcelé, harceleur », décrypte sur ce phénomène.
Harcèlement scolaire : "Les réseaux sociaux aggravent ce fléau" Harcèlement scolaire : "Les réseaux sociaux aggravent ce fléau"© DURAND FLORENCE/SIPA
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1,2 million : c’est le nombre de jeunes qui seraient victimes de harcèlement à l’école selon les chiffres officiels du ministère de l’Éducation nationale, soit 10% des élèves français. Problème : face à ces rumeurs, insultes et injures dont ils sont la cible, 21,7% d'entre-eux gardent le silence, 34,3% se confient à des amis et 38,4 % en parlent à des membres de leur famille. Finalement, seuls 5,6% des harcelés font état de leur situation à un adulte de leur établissement.

Mais après avoir longtemps été passé sous silence, le harcèlement scolaire est aujourd’hui une véritable préoccupation sociétale. Pour preuve, le 6 février dernier, la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, présentait son plan de lutte contre le harcèlement scolaire. Et ce 10 février, France 2 consacre une journée spéciale à ce fléau, à travers, un numéro dédié du magazine « Toute une histoire » et la diffusion, dans le cadre de l'émission « Infrarouge », du documentaire Souffre-douleurs, ils se manifestent. Une mobilisation à la hauteur des  conséquences dramatiques de ce fléau. En effet, 61% des élèves harcelés confient avoir des idées suicidaires et 25% des décrocheurs abandonnent l’école à cause de ce harcèlement.

Mais qu’entend-on finalement par harcèlement à l'école ? Comment prévenir ce fléau ? Et quel est le rôle des réseaux sociaux, des parents ou encore de l’école dans son développement ? Éclairage d’Hélène Molière, psychanalyste et psychothérapeute pour enfants à Paris, et auteur de l’ouvrage Harcelé, harceleur paru chez JC Lattès.  

Terrafemina : Comment expliquez-vous que le harcèlement scolaire soit aujourd’hui une véritable préoccupation sociétale, alors qu’il en était rarement question il y a encore cinq ans ?

Hélène Molière : À la différence des autres violences contre lesquelles la société se mobilise habituellement, le harcèlement à l’école est discret et insidieux. Il n’entre pas dans le cadre d’une guerre de clans. Il fait écho au système de bouc-émissaire auquel avaient recours les sociétés archaïques dans le temps. Il s’agissait de choisir une victime qui servait d’exutoire à tous les individus d’un même groupe, afin que ces derniers ne s’entretuent pas. C’était une manière de canaliser l’agressivité qui est innée en chacun de nous dès la naissance car elle s’avère paradoxalement nécessaire à la survie. En effet, l’apprentissage de la marche et de la parole sont des processus très violents. Mais en grandissant, chacun doit apprendre à canaliser cette violence, à mesure qu’il doit prendre conscience de ses droits et  des interdits. Quoiqu’il en soit, et bien qu’il a longtemps été passé sous silence, le harcèlement scolaire a toujours existé et a pris différentes formes au fil des ans.

Tf : Les réseaux sociaux ont-ils un rôle dans la persistance de ce fléau ?

H. M. : Non seulement les réseaux sociaux jouent un rôle dans ce fléau mais, pire encore, ils l’amplifient. On parle aujourd’hui de cyberharcèlement et de cyberviolence. Ces phénomènes font référence aux rumeurs ou insultes qui débutent sur les réseaux sociaux et circulent 24 heures sur 24, ne laissant pas le moindre répit aux victimes. Le support de cette violence, le Web, amplifie d’autant cette violence que l’anonymat de la toile réduit, d’une part, l’empathie et renforce, d’autre part, le sentiment d’impunité. Le harceleur est ainsi déconnecté de ses actes. Mais le virtuel est aujourd’hui notre réalité. Les parents ne peuvent interdire à leurs enfants l’accès aux tablettes, smartphones et autres écrans sous prétexte qu’ils peuvent être dangereux. En revanche, ils doivent être informés et connaître parfaitement ces outils pour accompagner leurs enfants dans l’utilisation qu’ils en font.

Tf : Quels sont les signes qui permettent de reconnaître une victime de harcèlement à l’école ?

H. M. : L’enfant harcelé va, dans la plupart des cas, avoir énormément de difficultés à mettre des mots sur son mal-être. Il faut donc effectivement une grande vigilance des adultes et c’est dans ce cadre que la sensibilisation a une vraie utilité. Dans un premier temps, il est important de cesser de banaliser ce problème en le réduisant à de simples enfantillages en primaire et à des crises d’adolescence lorsqu’il survient au collège ou au lycée. Lever le tabou de la violence scolaire permet de remettre les adultes face à leur responsabilité de parents, d’éducateurs.  
S’agissant de la potentielle victime, il faut noter ses changements de comportements. Un enfant qui refuse subitement  d’aller à l’école alors qu’il n’a jamais eu ce type de réticences auparavant peut avoir de graves problèmes avec un camarade de classe. Cela peut aussi être vrai s’il souffre de maux de ventre ou de tête, de troubles du sommeil ou de l’appétit, si ses notes chutent brusquement, s’il se rend plus souvent chez l’infirmière scolaire ou s’il s’isole. Quand ces signes persistent au-delà de quelques semaines, il faut commencer à s’inquiéter et envisager de consulter un psychologue. Les parents doivent essayer de comprendre la cause de ces changements et se rapprocher de l’école. La détection de ce fléau exige une vigilance des parents mais aussi de l’école ; et doit permettre de venir en aide aussi bien au harcelé qu’au harceleur qui est aussi un jeune en grande souffrance.

Tf : Existe-t-il profil type de jeunes plus exposés que les autres au harcèlement scolaire ?

H. M. : On ne peut pas établir de profil type en fonction d’un trait de personnalité mais certaines circonstances peuvent effectivement fragiliser un enfant et en faire le bouc-émissaire idéal d’un jeune mal intentionné. Une rupture affective dûe à un déménagement ou à un divorce des parents suivie d’une rencontre avec un camarade ayant envie d’en découdre suffit à basculer du statut de simple adolescent à celui de harcelé.
À noter que les années de primaire et de collège, c’est-à-dire entre 8 et 16 ans, constituent une période charnière particulièrement à risque. Pendant ce laps de temps, les filles sont à la fois très exposées au cyberharcèlement mais elles participent également beaucoup à la diffusion des rumeurs. La puberté et tout ce qu’elle implique (modification du corps, de la peau, croissance, premiers émois amoureux, etc.) les contraint à s’habituer à une nouvelle image d'elles-même et provoque une redistribution de l’agressivité.

Tf : L’école et les professeurs vous semblent-ils suffisamment formés pour détecter et  prévenir le harcèlement scolaire ?

H. M. : Sans faire le procès à charge de l’école ou des enseignants, j’estime que la formation et la sensibilisation sont indispensables pour lutter contre le harcèlement à l’école. Mais elles sont insuffisantes à ce jour. Il faut créer des climats favorables au sein des écoles. Un chef d’établissement digne de ce nom accompagné d’une équipe pédagogique investie peut facilement instaurer des mesures visant à canaliser la violence des adolescents dont il a la charge, créer des groupes de parole, organiser des activités sportives. On ne peut pas réduire le rôle de l’école à l’apprentissage. Elle doit aussi être le lieu du rappel à la loi. De même, les parents ne peuvent et ne doivent pas déléguer au système scolaire leur rôle d’éducateur. Rien ne remplacera jamais l’éducation familiale.

Tf : Peut-on prévenir le harcèlement scolaire avant qu’il ne survienne ? Peut-on apprendre aux enfants à réagir s’ils y sont un jour confrontés et éviter à d’autres de devenir des harceleurs ?

H. M. : Cette prévention est possible et elle commence très tôt, dès les premiers mois de vie de l’enfant. Il est important de l’accompagner à chaque étape et plus particulièrement lors des premières séparations qui vont être déterminantes, à la halte-garderie et à la maternelle par exemple. Il faut d’abord l’habituer à être avec les autres, en compagnie de sa mère. Il faut lui apprendre à se comporter en société et à réagir face aux premiers conflits. L’enfant ne va apprendre à se défendre que s’il a les mots pour exprimer le problème auquel il est confronté. Il doit donc apprendre à les utiliser et, en même temps, prendre conscience de son identité. C’est dès le plus jeune âge qu’un enfant apprend qu’il ne doit pas se mettre en danger, et qu’il ne doit pas non plus mettre en danger les autres.

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