On a cru à un sketch caricatural. Ou à un extrait vintage exhumé de la télé des années 70. Mais non, tout cela est bien réel et cela se passe aujourd'hui, en 2021. Cette séquence surréaliste a été diffusée sur la webradio Arts-Mada. On y entend le chroniqueur musical Fabien Lecoeuvre déblatérer : "Quand est-ce qu'on va nous sortir des filles sublimes ? Quand vous regardez Hoshi, par exemple, qui a un talent incroyable, indiscutable, vous mettez un poster de Hoshi dans votre chambre, vous ? Elle est effrayante. J'ai rien contre cette fille qui est géniale (...) mais qu'elle donne ses chansons à des filles sublimes. Comme des Vanessa Paradis, comme des Vartan, des Sheila à 20 ans, des Françoise Hardy..."
Pire, face aux réactions indignées, ce personnage a osé en remettre une deuxième couche sur Twitter dans un commentaire tout aussi lunaire : "Je relatais simplement une différence d'époque où les maisons de disques et les publics faisaient beaucoup plus attention aux physiques des artistes qu'aujourd'hui."
Alors, pour être tout à fait clair : oui, si nous étions ado (et si les posters existaient toujours), nous afficherions Hoshi dans notre chambre. Parce qu'elle a une personnalité de feu, qu'elle est une autrice, compositrice et interprète douée, que son discours est libre, qu'elle ne rentre pas dans les cases que des boomers comme Fabien Lecoeuvre voudraient lui assigner. Et c'est ce qui en fait une role-model. Une artiste à aspérités, qui se contrefout des injonctions, une figure inspirante, une belle personne.
Mais telle n'est finalement pas la question.
Comment, en 2021, peut-on encore tenir un discours aussi arriéré ? Comment Fabien Lecoeuvre ose-t-il commenter le physique d'une femme, et cela avec autant de légèreté (et sans contradiction) ? Est-il à ce point hermétique à l'air du temps ? N'entend-t-il pas la colère et la saturation de toutes celles qui n'en peuvent plus d'être objectifiées, maltraitées, humiliées, jugées et agressées quotidiennement ?
C'est cette petite rengaine sexiste qui participe au processus insidieux d'auto-dévalorisation que les femmes intériorisent très tôt. Elle alimente leur haine de soi, nourrit leurs complexes, elle leur souffle qu'elles ne pourraient exister qu'à travers une validation de codes décrétés par ces messieurs. Que leur valeur serait systématiquement jaugée à l'aune du "male gaze", ce regard vorace et sexualisant des hommes. Ces "appréciations" les renvoient à un état de subordination insoutenable. Elles leur murmurent : "Tu n'es pas assez, tu es trop". Elles les cadenassent et les bâillonnent.
"C'est à cause de gens comme vous que des jeunes abandonnent leur rêve, pas à cause des maisons de disque", a très justement répliqué Hoshi.
Hoshi n'est pas là pour "plaire" à Fabien Lecoeuvre. D'ailleurs, elle n'a pas le temps. L'époque des poupées mutiques et dociles est révolue. La nouvelle génération des chanteuses françaises l'ouvre, s'engage et bouscule. Et c'est tant mieux. Alors, oui, nous voulons des posters d'Hoshi sur les murs des ados. Nous voulons que les jeunes filles grandissent et rayonnent avec ces modèles qui leur insufflent assurance et fierté. Et nous rêvons que des réacs comme Fabien Lecoeuvre soient relégués au fin fond du placard à boomers (qui commence à être diablement surpeuplé par les temps qui courent). Du balai, de l'air. Enfin.