Près de 160 000 mineurs subiraient des violences sexuelles chaque année. Voilà l'un des chiffres importants à retenir du précieux rapport de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Autrement dit, la Ciivise. Initiée suite à l'affaire Camille Kouchner, la Commission vient de rendre d'accablantes conclusions après un an de travail. Elles composent un très lourd dossier de 80 pages.
Pour ce faire, la Commission a pris en compte pas moins de 11 400 témoignages de victimes, recueillis par téléphone, mais aussi par courrier postal et électronique. Sur toutes ces paroles prises en compte, neuf victimes sur dix sont des femmes, et elles ont en moyenne 44 ans. En outre, parmi les voix recueillies, huit victimes de violences sexuelles sur dix sont des victimes d'inceste. Dans ces (nombreux) cas présents, l'agresseur est le plus souvent un homme du cercle familial : père, grand frère, beau-père, oncle, grand-père...
Observation glaçante : parfois, et même souvent, la victime de violences parle, dans son entourage, mais rien ne se passe. Ainsi, près de la moitié des victimes interrogées, autrement dit 4 victimes d'inceste sur 10, indiquent que le parent auquel elles ont témoigné de ces violences... n'a rien fait.
Des conclusions qui exigent d'importantes mesures, et vite. "Il y a une part d'incommunicabilité dans la souffrance. Grâce à la Ciivise, cette part d'incommunicabilité est en train d'être franchie. Nous attendons des changements dans la loi le plus rapidement possible, c'est-à-dire dans le cahier des charges de la prochaine mandature", a ainsi affirmé le coprésident de la Ciivise, le juge Édouard Durand, comme le relate Le Parisien. Et quelles sont les mesures en question ?
Elles sont limpides : repérer les violences dès le plus jeune âge, prendre davantage en compte la parole des victimes, assurer une formation des policiers pour que ces derniers améliorent leur prise de témoignage. Mais également, permettre une meilleure formation des professionnels de la petite enfance, suspendre de l'exercice de l'autorité parentale les parents poursuivis pour viol, et, fait crucial parmi d'autres, obliger les médecins à signaler les violences s'ils en ont connaissance.
Mais la Ciivise préconise également le déploiement dans le pays d'unités d'accueil et d'écoutes pédiatriques. De quoi éveiller bien des consciences à des enjeux encore trop peu pris en compte - comme le fait que de 10 à 15 % des victimes interrogées soit des personnes handicapées. En janvier dernier, Camille Kouchner témoignait dans "l'Obs" des difficultés éprouvées à libérer la parole mais surtout, à la faire entendre.
Elle s'expliquait en ce sens, avec éloquence : "Je déteste cette notion de libération de la parole. Pour moi, elle charge les victimes d'agressions sexuelles d'une responsabilité immense. C'est comme si on considérait qu'elles n'avaient jamais parlé auparavant et qu'il peut enfin se passer quelque chose parce qu'elles se décident à le faire. C'est à nouveau inverser les rôles entre coupables et victimes".
Et en appelait, comme l'actuel rapport, à de nécessaires actions : "Il faudrait que la police, la gendarmerie, les magistrats soient mieux formés. Quant au droit, je ne comprends pas que l'action publique ne se déclenche pas seule. Des faits sont exposés. La société doit les prendre en compte : c'est aux policiers, magistrats, puisqu'il s'agit de justice, de vérifier la véracité de ces faits ; et pour qu'ils le fassent, c'est à l'action publique de se mettre en branle, au procureur d'ouvrir des enquêtes".
"Pensez, encore une fois, au poids qui pèse sur les victimes ! 'Tu vas porter plainte ? Tu dois savoir qu'après tu ne verras plus tes parents'. Alors on ne porte pas plainte dans les temps prescrits par la loi et les plaintes sont classées... Ça me paraît affreusement logique. Même quand on devient adulte, c'est extrêmement dur de porter plainte", déplorait alors l'autrice de La Familia Grande.