#PhotoDump ou #Photodumping : décochez ces hashtags sur Instagram et vous tomberez sur un déferlement de publications. Et pas simplement les selfies classiques. Car derrière cette tendance virale (signifiant "vidage de photos" littéralement), une certaine démarche : ne pas chercher le cliché parfait à partager à ses followers pour témoigner de son actu (soit-disant parfaite), mais se constituer une série de photos en vrac à poster d'un coup, façon portfolio.
"C'est un moyen de se débarrasser d'un tas de photos pour raconter une histoire ou créer une ambiance. Ces photos partagent une thématique - qu'il s'agisse de clichés étranges du week-end ou d'une 'collection' de vos repas de la semaine dernière", définit dans les pages du magazine en ligne Stylist la blogueuse beauté végétalienne Nicole. En somme, le "photo dump" est l'équivalent de l'album Facebook à l'ancienne, mais sur Instagram.
Au fil de ces "photo dump", les selfies côtoient les photos de paysages et les portraits de chaussures ou de cocktails. Ces assemblages synthétisent un même instant passé et partagé, mais à travers une multitude de formes, de détails et de points de vue. Comme un puzzle en somme. Sans noyer autrui sous une abondance de photos, on "photodumpe" pour narrer autrement une sortie, un événement ou tout simplement un mood.
Et on le fait histoire de délaisser un temps l'idéal de "LA" photo unique (et filtrée).
Forcément, quand une pratique semble fédérer un demi-million d'utilisateurs et utilisatrices, on s'interroge sur le pourquoi du comment. Instagram permet depuis longtemps de poster plusieurs photos en une seule publication, alors comment expliquer cette hype soudaine ? D'autant plus que poster une seule photo à la fois semble beaucoup plus intuitif sur le réseau social. Et que ce dernier, joujou pour perfectionnistes, nous incite à chérir le cliché qui claque plutôt que l'album-photos ronflant pour boomers. Après tout, on n'est pas sur Facebook.
Néanmoins, quelque chose a changé : nous avons vécu une pandémie, des confinements et des couvre-feux. Autant de replis forcés qui nous ont incités à côtoyer d'autant plus les réseaux sociaux, mais aussi à observer davantage notre quotidien cloisonné, savourer ce qui pouvait l'être, choyer les détails. Une approche "mosaïque" qui sied parfaitement au "photo dump", là où les clichés défilent comme une projo post-vacances.
"La résurgence du photo-dumping peut être en partie une réaction aux circonstances actuelles, celles de la pandémie : il n'y a plus de 'grands moments' à publier sur Instagram", analyse du côté du site Refinery29 la directrice de création Olivia Yallop. Plus de grands moments, simplement des petites choses qui s'assemblent. Une autre manière de communiquer quand le lien à l'autre, même lointain et numérique, semble décisif.
Finalement, il y a presque quelque chose de poétique dans ce "dumping" qui conserve l'attrait initial d'Instagram (l'instantanéité) mais l'exprime autrement - sur la durée. Puisqu'une publi peut entremêler photos de livres, selfies, clichés #fooding et photos de chats, un seul "photo dump" peut englober toutes les tendances du réseau.
La tendance du "photo dump", une évolution de notre relation à Instagram ? Peut-être. Ou plutôt, un retour aux sources. "J'adore le photo dump parce que j'ai l'impression que cela nous ramène aux premiers jours d'Instagram, quand vous pouviez simplement télécharger un tas de choses aléatoires et les gens appréciaient simplement le caractère 'random' de toutes ces photos", explique à ce titre la créatrice de contenus Amore à Stylist. Derrière l'aléatoire se faufile volontiers une quête d'authenticité, aux antipodes des publications planifiées et trop peaufinées.
Bien sûr, le simple fait d'assembler une série de photos et de l'envoyer à des dizaines, des centaines ou des milliers de followers sous-entend déjà une forme de planification et de soin apportée à l'image - on est loin de l'impro. Mais l'on sait bien que l'authenticité pure et dure est impossible, si ce n'est antinomique aux photos instagrammables. Plutôt que de défoncer des portes ouvertes en s'interrogeant sur le degré de "fake" et de naturel des contenus, d'aucuns préfèrent simplement apporter un autre regard, plus frais et moins superficiel.
Eclectique, le "dump" permet ce pas de côté, ces virgules, ces décalages. Des clichés "hors sujet" ou insolites peuvent volontiers se glisser dans les portfolios mis en ligne. Mais la pratique plaît également à un public plus "tradi", comme les générations moins connectées. "Le dumping concerne aussi votre tante, qui aime Pinterest et partage 56 photos dans un album Facebook, documentant chaque seconde de son voyage à Disneyland", s'amuse d'ailleurs le magazine Elle. A ce titre, certain·es n'ont pas attendu la tendance pour dumper.
Et il y a fort à papier que la pratique perdurera dans le monde d'après.