"La petite fille en moi ne peut plus taire ce nom. Il s'appelle Benoît Jacquot. Il manipule encore celles qui pourraient associer leurs noms au mien". Ainsi s'était exprimée Judith Godrèche en janvier dernier. Sur Instagram, l'actrice avait dénoncé l'attitude du cinéaste Benoît Jacquot. Lors de leur rencontre, ce dernier avait 40 ans et Judith Godrèche, 14.
Et aujourd'hui, Judith Godrèche a décidé de porter plainte contre le metteur en scène. Une longue enquête du "Monde" revient sur les faits dénoncés par l'actrice. Celle-ci accuse Benoît Jacquot de " viols avec violences sur mineur de moins de 15 ans commis par personne ayant autorité ". Et dénonce une entreprise de " prédation ". Mais ce n'est pas tout.
Dans ce long témoignage, Judith Godrèche aborde ce jour, où, alors qu'elle n'avait que quatorze ans, le cinéaste a pris sa main et l'a "posée sur son sexe". Peu après, le cinéaste l'emmènera chez lui : "Je suis très pudique et je l'ai toujours été. C'est bizarre de faire ça avec un adulte. Son corps et son sexe sont ceux d'un adulte. Tout est fait comme un adulte. Je n'ai aucun souvenir d'être embrassée. C'est comme s'il n'y avait aucune tendresse"
Benoît Jacquot l'aurait également soumis à "jeux sexuels". L'actrice : "Chez lui, il me dit d'enlever mon pull, qu'on va faire un jeu sexuel. Je dois me mettre sur l'escalier, dos à lui et fermer les yeux. Il prend sa ceinture, se met à me fouetter. Je le laisse faire un coup, deux coups, mais je ne peux pas ".
Elle évoque des "rapports sexuels brutaux"...
Autres éléments relatés par cet éprouvant témoignage : "Judith Godrèche subit des rapports bucco-génitaux qui la " dégoûtent ". Chaque fois qu'elle a ses règles, c'est même " obligatoire " : " Pour mes 15 ans, il décide que je dois jouir quinze fois, je n'ai pas le choix. Je fais semblant le plus vite possible. " Idem pour les fellations à répétition qu'elle explique se faire imposer : " Je déteste, mais il dit que je suis un génie à faire ça. "
Ce récit est celui de violences sexuelles. Mais également, d'une domination. Dans ce témoignage relayé par Le Monde, Judith Godrèche dépeint le cinéaste en homme d'autorité, qui fait savoir à l'adolescente qu'elle ne "comprend rien", vient la chercher à la sortie de l'école, l'initie aux "choses d'adulte". Tout en prenant soin de la couper des enfants de son âge, du monde extérieur.
Alentours, équipes de tournages, producteurs, artistes, ne semblent guère relever l'anomalie. Propos du producteur Philippe Carcassonne : "C'était une jeune fille très mûre. Elle n'avait pas l'air d'être en souffrance, elle semblait très à son aise sur le plateau, pendant les séquences, avant et après. A ma connaissance, son père ne trouvait rien à redire à cette situation, je n'avais donc aucune légitimité à objecter quoi que ce soit"
Abus de pouvoir, relation d'emprise, prestige culturel, sentiment d'impunité écart d'âge vertigineux : on pense fort, très fort, au Consentement, le récit de Vanessa Springora à propos de Gabriel Matzneff. Et pour cause. "Lorsqu'elle a lu ce livre, Judith Godrèche a " cru que Vanessa Springora avait écrit un livre sur [elle] ". Elle n'a pas pu aller au bout tout de suite : trop similaire, trop violent", relate à ce titre l'enquête de Lorraine de Foucher et Jérôme Lefilliâtre.
Témoignage de sa mère, Marie Godrèche : "C'était comme si elle était enfermée, il fallait demander la permission à Benoît pour tout, même pour qu'elle passe Noël avec moi. C'est lui qui décidait de tout, c'était une relation tyrannique. Alors que c'était encore une petite fille : elle avait un doudou. Je pense qu'elle n'a jamais été heureuse"
"Il menace de me traîner en justice pour diffamation. Tout se savait... J'ai peur de ne plus travailler. Mais je me dois de parler pour nos filles, nos petites soeurs... Non, Benoît Jacquot, une fille comme elle avait 14 ans, et non ça ne l'excitait pas !", avait encore témoigné l'actrice en retour sur son réseau social.
"C'est important de raconter ça pour protéger ma fille, l'informer. La parole ne libère pas, c'est un fantasme. Je parle pour témoigner et informer les générations à venir", avait-elle poursuivi auprès du vidéaste Ben Névert. "Qu'est-ce la Judith d'hier dirait à celle d'aujourd'hui ? Mets tes baskets et cours aussi vite que tu peux !"