Élégance, sensualité, tendresse : sur Instagram, le style de l'illustratrice Agathe Sorlet émerveille. D'une planche à l'autre, l'artiste saisit aussi bien les bribes de couples - et les petits chats - que la beauté des corps des femmes. C'est avec amour et délicatesse qu'elle esquisse l'intimité féminine. De quoi ravir son demi-million de followers. Oui mais voilà, il n'est pas toujours évident de dépeindre la sexualité féminine sur Instagram...
Pas toutes en tout cas. Et Agathe Sorlet l'a appris à ses dépens. Son kamasutra lesbien, mis en ligne le 4 décembre dernier, a effectivement été supprimé par Instagram. Le réseau social considère ce contenu comme "inapproprié". Étrange décision. Sur le fil de la dessinatrice, on trouve des représentations explicites de galipettes hétéros, des poitrines dénudées, des plaisirs solitaires, des cunnilingus... C'est à se demander pourquoi ce dessin-là n'est pas passé.
Et Agathe Sorlet, elle aussi, se pose la question. "Instagram a supprimé mon dernier dessin. Si je comprends bien, le kamasutra hétérosexuel est autorisé sur Insta mais pas le kamasutra gay ?", a-t-elle demandé le temps d'une story. Pourtant, ce sont des positions similaires qui se retrouvent de l'un à l'autre. Il faut croire que le fait de réunir deux femmes nues en une image est "too much" pour la plateforme. Une aberration qui n'a pas échappé aux fans, exprimant à l'unisson leur désarroi et leur soutien - en repostant sur leur page la publication supprimée.
Si les dessins érotiques abondent sur Insta (sous la plume de Suzie Q, Petites Luxures, Darling Kink), rares sont les comptes à mettre en avant la sexualité des femmes lesbiennes, cantonnant celle-ci aux images (trop !) hétéronormées des vidéos pornographiques. Triste à savoir quand on se souvient qu'il y a peu encore, taper le mot "lesbienne" sur Google ne vous renvoyait que... vers des sites pornos (une tare des algorithmes depuis "réparée"). A ces insuffisances, la plateforme rétorque par la suppression.
Comme le souligne le Huffington Post, il arrive même qu'Instagram filtre les contenus lesbiens, gays et bisexuels en masquant ou supprimant les images réunies sous des hashtags précis (#lesbian, #gays, #lesbians, #bi). "Nous devons nous méfier de la censure des mots et images qui peuvent avoir un impact sur les jeunes, lesquels sont quotidiennement confrontés à des insultes et des brimades homophobes, biphobes et transphobes", déplore en ce sens Elly Barnes, la fondatrice d'Educate & Celebrate, une organisation dédiée à la mise en oeuvre d'un programme d'études LGBTQ.
Cette année encore, le site i-d nous mettait lui aussi en garde, interrogeant cinq illustrateurs et illustratrices sublimant les relations queer : "Cette plateforme est connue pour censurer l'iconographie féminine et trans".
Ce qu'approuve Cat, créatrice du compte Pussycats : "De nombreux artistes queer, y compris moi-même, ont largement recours aux réseaux sociaux pour partager leur travail et gagner leur vie. Mais Insta ne prend pas en charge les personnes queer, elle cible et censure régulièrement nos voix sous prétexte du "règlement de la communauté". A l'écouter, il faut prendre en compte le fait que ces publications peuvent tout à fait être signalées par d'autres utilisateurs, peu enclins à "liker" ce genre de posts...
Cependant, la lutte des illustratrices pour des représentations plus inclusives ne s'arrête pas. Par-delà les esquisses d'Agathe Sorlet, les instigatrices militantes de Sapphosutra se plaisent à défier la censure en esquissant les multiples positions de leur kamasutra lesbien. Aussi éducatif que transgressif.
Et qu'on le sache, il en faut bien plus pour déprimer Agathe Sorlet. "Merci encore de partager cette ridicule censure de mon Kamasutra gay ! C'est très important de changer les mentalités !", s'est ainsi réjouie l'artiste dans une autre de ses stories, emojis poing levé et arc en ciel à l'appui - une allusion au fameux "rainbow flag" des communautés LGBTQ. Espérons que ces bonnes vibrations se diffusent massivement.