Ces six derniers mois, 1 413 adolescentes kényanes se seraient rendues dans un établissement hospitalier dans le cadre de soins prénatals. Leur âge ? Entre 10 et 14 ans. Seulement. C'est la Dr Mercy Mwangangi, Secrétaire administrative en chef au sein du Ministère de la Santé, qui le déplore : coronavirus et confinement n'ont fait qu'exacerber le taux de grossesses de jeunes filles. Un taux qui n'avait pas besoin de cela. Car depuis le début de l'année - c'est à dire quelques mois avant cet isolement global - ce sont pas moins de 30 000 filles âgées de 15 à 19 ans qui se seraient déjà rendues dans des hôpitaux pour les mêmes raisons. Vertigineux.
Et ce ne sont pas les responsables de l'Unicef qui apporteront un brin d'optimisme à ce tour d'horizon. Comme l'énonce encore ce reportage du Daily Nation (un journal indépendant kényan), un récent rapport du Fonds des Nations unies pour l'enfance met en avant d'autres statistiques : l'an dernier, une fille sur cinq (22,3%) serait tombée enceinte avant l'âge de 18 ans au sein du pays. On le comprend, le contexte du coronavirus ne conforte que davantage cette situation, tant et si bien d'ailleurs que Betty Sungura, directrice générale de l'initiative GEC (Girls' Education Challenge), affirme que les jeunes filles kényanes "vivent une pandémie au sein d'une pandémie".
Comment l'expliquer ? Voix associatives et gouvernementales énoncent des faits. L'absence d'une véritable éducation sexuelle, le manque de sensibilisation nationale, mais aussi la banalisation des violences sexuelles, et les agissements, en Afrique de l'Est, de ceux que l'on appelle "les prédateurs d'enfants". Sans oublier, avance le secrétaire du Ministère du travail et de la protection sociale Simon Chelugui dans les pages du Daily Nation, les cas reportés de mariages forcés ou de violences intrafamiliales - d'inceste, notamment.
Un panorama inquiétant.
Face à cela, que faire ? Laisser s'exprimer "les jeunes mères qui ont déjà subi cette expérience", avance Betty Sungura, pour mieux alerter. Ouvrir des centres d'hébergement destinés aux enfants abusés et éveiller les consciences en privilégiant une éducation sexuelle "adaptée à l'âge" et assurée par des professionnels, poursuit le Dr Joyce Mutinda, à la tête de la Commission nationale du genre et de l'égalité (NGEC). Mais aussi s'assurer de la bonne collecte de ces données. Car pour Simon Chelugui, les chiffres du Ministère suggèrent que "tous les cas de grossesses d'enfants ne sont pas signalés". Le responsable insiste également pour que les parents, eux aussi, soient sensibilisés à cette réalité. Par le biais de "programmes d'éducation" pour adultes par exemple.
"La responsabilité doit être partagée entre le gouvernement, les communautés, les parents et toutes les autres parties concernées afin de mettre fin à cette problématique", affirme le Secrétaire dans les pages du journal. Assurer davantage l'efficacité des systèmes de protection de l'enfance, mais aussi l'attention portée au traitement des violences sexistes et sexuelles dans le pays, voilà le double-enjeu (conséquent) qu'engendrent ces données aujourd'hui. Secrétaire principale en charge du Genre, la professeure Colleta Suda en appelle quant à elle à "la responsabilité du gouvernement et du pouvoir judiciaire" afin de garantir un état des lieux moins alarmant.
En attendant, les témoignages récemment recueillis par l'AFP ne font que sonner davantage l'alarme. L'on y découvre par exemple les mots de Linnet, jeune kényane de seize ans qui, comme tant d'autres ados de son âge, est tombée enceinte, offrant son corps à un homme de vingt-deux ans pour faire face à une situation de grande précarité financière familiale. "Je suis trop jeune pour tomber enceinte et maintenant je vais devenir la mère d'un enfant. Je me sens mal", déplore-t-elle au média.
Un malaise national.