Kenya. Au matin du 6 septembre dernier, une jeune fille se rend à l'école, comme à son habitude. C'est la fin de semaine. Soudain, quelque chose l'inquiète : ses vêtements sont tachés de sang. Elle a ses règles. Elle part donc prévenir sa professeure. Contre toute attente, celle-ci l'humilie. Lui dit qu'elle est "sale". Et la met carrément à la porte. L'écolière quitte donc la classe. On la retrouvera pendue. De honte, cette jeune fille s'est suicidée. Elle s'appelait Jackline Chepngeno. Et n'avait que quatorze ans.
Il y a de ces histoires qui attristent autant qu'elles désespèrent, et celle de Jackline Chepngeno en fait partie. Comment mieux dire la honte et la culpabilité qui pèsent encore sur les jeunes filles, notamment lorsqu'il est question du regard que l'on porte sur leur corps, et plus encore sur leurs menstruations, source de jugements et de superstitions ? Mais cette tragédie, qui a suscité un émoi général, dévoile également avec clarté la situation plus que critique des femmes et du respect de leur intimité au Kenya...
Effectivement, la situation est loin d'être simple pour les jeunes filles. Comme nous l'apprend cet article édifiant de Reporterre, le tabou des règles est encore une "source d'exclusion" et de stigmatisation pour les femmes au Kenya. Voire même d'oppression : parmi les filles de 15 ans, une sur dix doit se prostituer pour se procurer des serviettes hygiéniques, en raison de leur prix inabordable. Les menstruations sont dès lors synonyme de mise en danger et d'exploitation du corps des femmes. D'autant plus que celles-ci, par dépit, peuvent privilégier d'autres options des plus rudimentaires, "comme le papier toilette, des journaux, le rembourrage de matelas - parfois même inséré dans le vagin -, des feuilles sèches ou de l'herbe, ou même du fumier".
Tel que l'indique encore l'Unicef, 76 % des femmes et des filles au Kenya "ont un mauvais accès à de l'eau propre ou à des sanitaires pendant leurs règles". Et une fille sur dix rate l'école à cause de la précarité menstruelle. Une réalité affligeante, au sein d'un pays où les règles sont (toujours) considérées comme "impures". Par-delà ce tabou qui ne dit pas son nom, le suicide de Jackline Chepngeno fait quant à lui perdurer un silence des plus assourdissants. Celui des forces de police d'abord, autorités prévenues par la mère de la jeune fille, mais qui n'ont jamais donné suite à sa plainte. Au lieu de cela, ajoute le journal indépendant kenyan Daily Nation, la police a préféré employer les gaz lacrymogènes à l'encontre des parents d'élèves, venus manifester aux pieds de l'établissement scolaire en guise de protestation.
Ce silence est aussi celui de l'enseignante, bien sûr, qui n'a pas encore expliqué son attitude à l'adresse de l'écolière. Sans omettre l'absence de déclaration du directeur de l'école, qui n'a pipé mot face aux nombreuses questions des journalistes en quête de réponses nécessaires. Un silence scandaleux, auquel rétorque aujourd'hui l'indignation populaire. Ainsi sur Twitter, des hashtags se diffusent déjà pour faire connaître l'histoire de Jackline Chepngeno : #SAYHERNAME ("Dites son nom") et #FORTHOSEWHOBLEED : "Pour toutes celles qui saignent". Histoire de ne jamais oublier.