"C'est clair que si c'est moi qui décidais, j'aurais mis de plus grosses portions aux garçons et des plus petites aux filles parce qu'on a besoin de plus d'énergie." Les propos tenus par Fouzi, candidat de Koh-Lanta, ont largement fait réagir sur les réseaux sociaux depuis qu'ils ont été diffusés mardi 19 avril.
Dans le huitième épisode de l'émission de survie, le candidat a reproché le partage équitable entre tous les candidats de la pièce de boeuf obtenue dans l'épreuve de confort. Selon lui, les femmes auraient dû manger moins de viande que les hommes.
Mais d'après les spécialistes que nous avons interrogés, ce n'est pas aussi simple. "L'idée que les hommes devraient manger plus que les femmes est une idée complètement erronée", affirme Nora Bouazzouni, journaliste et autrice des essais Faiminisme et Steakisme.
"Il faut regarder les gens : leur poids, leur taille, leur composition corporelle et leur activité physique. À partir de là, seulement, vous pouvez distribuer équitablement les rations et pas simplement sur la variable hommes-femmes, car vous risquez de vous tromper", souligne également François Mariotti, enseignant-chercheur en nutrition à AgroParisTech et membre du Comité d'experts spécialisé en nutrition humaine de l'Anses.
Pour François Mariotti, l'énergie dont parle Fouzi fait référence aux besoins énergétiques de chacun, c'est-à-dire au nombre de calories à consommer. "Ce qui détermine la quantité de calories qu'on doit consommer, c'est la quantité de calories qu'on dépense, qui est fonction de la dépense énergétique de repos et de la dépense énergétique liée à l'activité physique", explique le chercheur.
Aujourd'hui, l'Anses évalue la dépense énergétique de repos par jour à 1600 calories chez les hommes et à 1300 calories chez les femmes. "Une femme a en effet en moyenne une dépense énergétique plus faible au repos que celle d'un homme, mais c'est essentiellement parce qu'elle a moins de masse maigre, précise le spécialiste en nutrition. À cela s'ajoute la dépense liée à l'activité physique qui n'est pas sexuée et qui dépend de chacun."
Dans son rapport "Actualisation des repères du PNNS : élaboration des références nutritionnelles", publié en 2016, l'Anses a ainsi défini "un besoin énergétique de 2600 kcal/j et de 2100 kcal/j pour les hommes âgés de 18 à 69 ans et les femmes âgées de 18 à 59 ans". "De dire à quelqu'un : 'parce que tu es une femme, on va te donner moins' est un raisonnement biaisé parce que, ce qu'il faudrait voir, c'est combien elle pèse [...]. Si un homme et une femme ont la même masse maigre, il n'y a pas de raison de leur donner différemment à manger et s'ils ont la même activité physique, ils ont les mêmes besoins énergétiques", rappelle le chercheur.
"Quand on regarde les recommandations en termes d'apports journaliers de calories, oui les hommes devraient manger un peu plus de calories que les femmes, mais c'est à taille, poids, dépense énergétique et âge égaux", relève Nora Bouazzouni. Le sexe n'est donc pas le seul déterminant. "C'est vrai en moyenne, mais c'est faux dans le détail", poursuit François Mariotti.
"La composition corporelle des gens est très variable, leur poids est très variable, leur taille est très variable et leur activité physique aussi or ça pèse énormément dans la dépense énergétique", insiste François Mariotti. "Olga qui est sportive professionnelle doit en fait manger plus que Fouzi qui a un métier sédentaire", illustre la journaliste spécialiste des liens entre alimentation et genre.
"Lorsque François qui est pompier déplore que 'Loana fait 55 kilos' et a voulu prendre la même part que lui, j'ai envie de lui répondre : 'François, tu es sur Koh-Lanta, tu n'es pas en intervention !' J'imagine que dans la vie de tous les jours, vu son métier, oui François devrait manger plus de calories, mais pas de quantité", poursuit Nora Bouazzouni.
Pour elle, quantité et calories sont confondues alors "qu'il n'y a pas une énorme différence entre les calories recommandées pour les femmes et pour les hommes (environ 25%, Ndlr). Pourtant, la quantité que les hommes mangent est 38% plus élevée que celle mangée par les femmes". François Mariotti nuance : "Si c'est la même chose que vous consommez, vous avez besoin de plus de quantité. Si c'est que du riz par exemple et que vous avez besoin de plus de calories, vous avez besoin de plus de riz".
Le fait que les remarques de Fouzi et de Fabrice portent sur de la viande n'est par ailleurs pas anodin, estime Nora Bouazzouni. "La viande c'est l'aliment le plus chargé symboliquement. Il a une forte charge symbolique virile, 'viriliste' même, qui est associée à la force, à la domination, à la domination de l'homme sur la nature et sur les femmes", éclaire l'autrice. Elle ajoute : "On n'est donc pas étonnés que la remarque porte sur la viande. Quand il y a de la pizza, on n'entend pas ce genre de réflexion".
"Dès l'adolescence, les individus de sexe féminin consomment en proportion davantage de volailles, alors que ceux de sexe masculin consomment préférentiellement les autres types de viandes", souligne en ce sens "l'Etude individuelle nationale des consommations alimentaires 3" produite par l'Anses.
"Il y a une longue tradition historique et mondiale d'accaparement de la viande et qui se fait toujours au détriment des femmes [...]", développe Nora Bouazzouni. "Ça contribue à de graves problèmes médicaux. Dans le monde, un tiers des femmes en âge de procréer souffrent d'anémie [carence en fer] or le fer qu'on trouve dans la viande est plus assimilable que celui que l'on trouve dans les lentilles. Et l'anémie peut contribuer à des femmes qui vont mourir en couches", alerte-t-elle.