Dimanche, à l'heure où les coureurs du Tour s'élanceront dans un contre-la-montre par équipe et que les finalistes de Wimbledon en découdront sur le gazon, une autre affaire d'hommes se tiendra dans votre jardin. Celle qui opposera la gente masculine dans toute sa globalité à l'animal, fier et cellophané, autour du traditionnel barbecue.
Si la vision de votre compagnon aux prises avec des cuisses de poulet marinées vous fait sourire, songez pourtant un instant à quel point ces messieurs ont investi le champ hautement complexe de la cuisson sur braise. De Claude Lévi-strauss, qui a consacré un essai ethnologique à la question ("Le Cru et le Cuit", 1964), à Gilles Stassart qui nous ouvre les portes de "l'art de la grillade" dans l'ouvrage "600 °C", en passant par Laurent, saint patron des rôtisseurs, ou le Danois Anders Jensen, maître incontesté du domaine et champion du monde de la World Barbecue Association (si, si...). L'objet qui traîne dans votre garage 10 mois de l'année peine à rallier la gente féminine à sa cause... A moins que ce ne soit plutôt les hommes qui défendent, corps et charbon, l'ustensile en dernier bastion de leur virilité ?
Saluons d'emblée votre homme qui, espérons-le, sortira une fois de plus vainqueur de cette lutte acharnée contre merguez et côtelettes qui, à une autre époque, auraient pu prendre une forme bien plus poilue et menaçante. Car c'est bien là l'un des traits majeurs du barbecue : plus qu'une simple façon de cuisiner, il est devenu un moyen pour les hommes de renouer avec leur nature profonde, presque bestiale.
"La fascination pour le gril est profondément ancrée dans l'homme", affirme d'ailleurs la spécialiste en sciences humaines Claudia Schirrmeister. Selon cette professeure de l'Université de Duisburg-Essen en Allemagne, qui s'est intéressée aux aspects sociaux et insolites du phénomène de masse du barbecue, "Dans ce genre de repas, il s'agit moins d'assouvir sa faim que de pratiquer un rituel".
Un rituel qui puise ses racines dans l'évolution et empreinte aux codes de la figure de l'homme des cavernes. Avec sa peau de bête et son couteau, ce dernier avait pour mission de subvenir aux besoins des siens en partant chasser à ses risques et périls. Extirpé de cette condition peu enviable, notre mâle du 21e siècle n'a pour autant pas abandonné sa fascination pour le feu et la viande. "Le barbecue, c'est de la viande, et la viande, c'est une histoire d'homme", résume ainsi le blog Une Plume dans la cuisine qui conçoit le barbecue comme une activité alliant "virilité" et "danger". Un danger bien moindre que celui qu'encourait son ancêtre en risquant de se faire dévorer par un animal sauvage, mais qui "permet à l'homme d'affirmer sa position de mâle dominant, puissant et fort" en contrôlant le risque que représentent les flammes.
La puissance justement, le barbecue en est l'un des fers de lance. "Celui qui s'occupe du barbecue détient un certain pouvoir", analyse Claudia Schirrmeister. "Il peut devenir un véritable symbole de statut social. À l'heure où la cuisine est élevée au rang de culte et où le barbecue devient une philosophie, se positionner comme le meilleur grilleur vaut dans certains groupes sociaux au moins autant que posséder une nouvelle voiture".
En clair, maîtriser la cuisson du festin familial renfermerait une valeur sociale insoupçonnée, garante de la capacité de l'homme aux commandes à subvenir aux besoin et assurer le bien être de ses semblables. Question de standing. Observez d'ailleurs avec quel naturel une meute d'hommes affamés se réunissent instinctivement autour du barbecue lorsque celui-ci est allumé. Tel le feu sacré autour duquel se réunirait une tribu, ces messieurs s'amassent, l'été venu et bière à la main, autour de l'objet et de celui qui le maîtrise. Ce dernier étant généralement reconnaissable à la pince qu'il tient entre les mains pour retourner les pièces de viande en pleine cuisson.
Par extension, il est d'ailleurs intéressant d'observer à quel point le barbecue peut être revu à toutes les sauces... jusqu'à séduire les hommes de pouvoir, qui le transforment alors en véritable outil de communication politique. Si Alain Juppé, candidat à la primaire de la droite et du centre, a récemment réuni ses partisans à Suresnes autour d'un barbecue convivial, il n'est pas le premier à s'attribuer les mérites d'une bonne viande braisée. Grand amateur de l'exercice, Barack Obama n'a pas hésité, en 2009, à se mettre en scène aux côtés du chef Bobby Flay en passant le tablier pour quelques grillades destinées à la Maison Blanche.
Alors le barbecue, chasse gardée des hommes ? Pas si sûr. "Dire que le barbecue est une affaire d'hommes, c'est un pur cliché", estime Désirée Stohler, de Bottmingen en Suisse. La jeune femme de 27 ans sait de quoi elle parle : avec son équipe de Baby Bruzzler, elle a remporté en 2014 un titre professionnel au "Bell BBQ Masters", très sérieux concours adressé aux as de la cuisson.
La Suisse reconnaît pourtant qu'en la matière, il est difficile de se faire une place. "Les hommes occupent une place prédominante dans le barbecue, on le voit dans les compétitions", fait-elle observer avant de faire valoir que, peu importe le genre, le barbecue recquiert de l'apprentissage. "Les hommes n'ont pas ce savoir inné non plus. N'allez pas croire qu'ils se mettent comme ça un jour au barbecue et réussissent du premier coup un steak parfait". Le grill deviendra-t-il un jour le nouveau terrain de jeu d'une guerre des sexes ? Avant de vous lancer dans le combat, prenez des forces et savourez ces côtelettes.