Les hommes doivent avoir les cheveux courts et les femmes doivent avoir les cheveux longs. Ces préjugés, qui contribuent à rigidifier et à codifier la notion de genre, sont aussi tenaces que des mauvaises herbes. Et c'est pour s'en libérer et vivre sa féminité avec davantage de liberté que de nombreuses jeunes femmes se rasent aujourd'hui le crâne.
Et du fait de la lourde symbolique qu'on attache à nos cheveux, ce phénomène très justement nommé "buzz cut" en anglais (la boule à zéro, littéralement, mais aussi la coupe qui buzze), témoigne du malaise grandissant des jeunes femmes face au regard inquisiteur que pose la société sur leur corps et leur féminité. Petit zoom sur ces filles qui ont la tête nue, mais haute, et qui s'affranchissent de la notion de genre. Pour le plus grand bonheur de la sphère fashion.
D'un point de vue culturel, se raser le crâne n'a rien d'anodin. En effet, autour des cheveux de la femme se tisse tout un réseau de symboliques. La chevelure féminine est devenue l'emblème de sa sensualité, comme l'explique le site Têtue, une plateforme dédiée aux femmes à la tête rasée.
En effet, les textes religieux, qui interdisent explicitement à la femme de montrer ses cheveux, comme si c'était une exhibition indécente, sont à l'origine de cet amalgame. Jusque l'entre-deux guerres, les femmes s'attachaient les cheveux ou les couvraient d'un chapeau pour sortir : il n'y avait que les filles de joie qui laissaient leurs cheveux au vent en public, c'était considéré comme une exposition impudique et sexuelle. Les coupes garçonnes, qui accompagnèrent la libération de la femme, firent scandale parce qu'il paraissait inadmissible qu'une femme sacrifie sa féminité pour porter ses cheveux "comme un homme". Et en 1944, les femmes accusées d'avoir frayé avec les nazis étaient tondues en public pour être humiliées : ce châtiment reposait sur la croyance qu'en les rasant, on leur retirait la féminité dont elles n'avaient que trop abusé dans les bras des Allemands.
Selon les normes sociétales, avoir les cheveux longs vous rendait donc "plus femme". Et c'est exactement pour s'affranchir de ces contraintes que de plus en plus de filles se rasent le crâne. C'est une manière pour elles de se libérer des attentes genrées qui pèsent sur leur physique : Mackenzie Jones, 20 ans, rasée depuis ses 15 ans, explique au New York Times que passer sous la tondeuse était pour elle "l'ultime acte de rejet du regard masculin". Se raser la tête implique donc bien une certaine violence, dirigée contre l'étouffant carcan de la société 2.0. C'est un geste associé à la culture punk, un cri de révolte pour se réapproprier sa féminité. Les femmes veulent être libres de l'exprimer d'une manière plus personnelle, en prenant à contre-pied tous les stéréotypes sur les genres. Et la mode, toujours à l'affût de la moindre convulsion de notre société, n'a pas loupé le coche.
La mode et la culture entretiennent une relation extrêmement fusionnelle, pour ne pas dire vampirique. On se sert de notre style pour faire passer un message, pour secouer les normes, tandis que la mode se sert de nos revendications pour se renouveler. Et une fois n'est pas coutume, les podiums ne sont pas passés à côté du potentiel de ces affranchies aux crânes lisses.
"Les gens commencent à se dire que peut-être que le crâne rasé est en fait quelque chose de très chic et élégant, que ce n'est pas juste pour les skinheads", s'amuse dans le New York Times la mannequin Tamy Glauser, qui a la tête nue depuis plus de 10 ans, avant même de faire ses premiers pas dans le monde de la mode. Cela fait désormais 5 saisons qu'elle défile pour Louis Vuitton : chic, vous avez dit ?
"Une fille qui se rase le crâne, c'est comme quand Jaden Smith met une jupe", ajoute-t-elle. "Je pense que c'est bien pour la société de voir que les gens vont à l'encontre de ce qu'on leur a toujours appris : que notre manière de nous habiller doit refléter notre genre et notre sexualité.", ajoute-telle. "C'est comme ça qu'on réalise qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise manière d'être". Ni de paraître, comme le démontre l'engouement fashion autour du"buzz cut". Lina Hoss et son crâne chauve a fait cette année quatre couvertures du magazine pour jeunes adultes i-D Vice, tandis que Ruth Bell a même été sollicitée dans des campagnes de pub Zara, preuve ultime de l'acceptation massive de ce style très androgyne, qui va à l'encontre de toutes les normes de genre.
C'est donc une jolie victoire pour ces nouvelles tondues qui revendiquent haut et fort une nouvelle vision du genre féminin, fondée sur l'anticonformisme et la liberté.