Malgré un amour affiché pour l'anticonformisme et la modernité, notre société "libérée" continuer de s'appuyer sur des stéréotypes de genre et des conventions sociales rigides : on est capable de fabriquer des téléphones portables aussi puissants qu'un ordinateur qui peuvent surveiller notre activité cardiaque, mais payer une femme autant qu'un homme semble toujours être chose impossible. Selon les chiffres de 2015 de l'Insee, les femmes gagnent en moyenne 1943 euros net par mois, contre 2399 euros pour les hommes. L'écart est donc de 19% : en dix ans, il n'a diminué que de 2,5 points (21,5% en 2005). Et d'après The Guardian, ce manque d'évolution trouve ses racines dans notre éducation.
C'est durant l'enfance qu'on se forge une notion de norme, de ce que l'on doit faire ou non, de ce qui est "bien" ou "mal". On grandit en observant puis en imitant : du fait de ce mécanisme, on ingère en réalité très tôt de nombreux stéréotypes et comportements genrés, transmis plus ou moins consciemment.
Et c'est ce qui explique que notre société peine autant à jeter par-dessus bord sexisme et inégalités des femmes. C'est en fait un problème générationnel : plus ou moins consciemment, on continue de se transmettre un modèle social reposant sur la différenciation nette des genres. Ce fonctionnement archaïque, où la femme s'occupait du foyer et des enfants tandis que l'homme chassait puis travaillait pour faire vivre sa famille, n'a bien évidemment plus lieu d'exister au XXIème siècle. Mais son ancienneté lui a donné de la légitimité, jusqu'à en faire le modèle par défaut, celui auquel il faut se conformer pour trouver sa place dans la société, comme le dénonce très bien le blogueur Lewis Humphries dans son billet sur l'égalité des genres pour LifeHack. Et on peut finir par léguer malgré nous ce cadeau empoisonné à nos enfants.
En effet, le désir de voir ses enfants adhérer à des rôles de genre naît de la peur -plus ou moins consciente- du rejet. On craint qu'en s'écartant de la norme, notre enfant soit rejeté du fait de ses différences, qu'il ne puisse pas s'épanouir professionnellement et émotionnellement... Et c'est cet insidieux déclencheur qui fait tourner le moulin des stéréotypes de genre. Fervente militante pour l'égalité des genres, on se surprend pourtant à grimacer anxieusement en voyant notre fils esquisser des pas de bourré devant le miroir de la salle de bain, ou à tenter de convaincre notre fille qu'elle sera plus heureuse si elle s'inscrit à la danse plutôt qu'à la boxe. Inconsciemment, on sacrifie nos idéaux sur l'autel de l'intégration sociale. Et le résultat est consternant : selon l'enquête menée en 2013 auprès de la petite enfance par Brigitte Grésy pour le rapport de Najat Vallaud-Belkacem pour l'égalité fille-garçon, à 3 ans à peine, les enfants qui rentrent en maternelle ont déjà assimilé malgré eux un très grand nombre de stéréotypes de genre.
Et malheureusement, ils en seront les uniques victimes : ce sont ces préjugés, dont on les gave depuis leur plus jeune âge, qui pousseront une fille à choisir d'être infirmière plutôt qu'ingénieur et qui empêcheront un petit garçon de se glisser dans un tutu comme il en rêve pour rester "viril" aux yeux de la société. C'est en disant à une petite fille que le microscope n'est pas un jouet pour elle, en riant parce que son petit garçon a enfilé un tablier de cuisine qu'on leur transmet la vision d'un monde sectaire, où leurs chances et leurs opportunités seront toujours déterminées par leur sexe. Et si l'on veut un jour en finir avec le sexisme, le désert des femmes dans les domaines scientifiques ou financiers, la pression qui pèse sur les hommes au foyer, ou même les commentaires dégradants des commentateurs sportifs des JO sur les athlètes féminines, il faut s'attaquer à la racine du problème : la conception d'un monde cloisonné, où les genres cohabitent sans se valoir.
C'est aux parents de briser ce cercle vicieux, en refusant de reporter sur leurs enfants la pression sociale conformiste. Et, comme le rappelle le New York Times, puisqu'on perpétue des traditions de genre sans même s'en rendre compte, par habitude, ou par mimétisme des habitudes de nos parents, la tâche est loin d'être aisée. Il serait utopique de penser qu'il suffit d'apprendre à son fils à faire des cookies pour briser tous les "tics de genre" qu'il a pu prendre, alors qu'il baigne depuis sa naissance dans une culture où l'on s'efforce en permanence de distinguer les attributs de chaque sexe, par les jouets, les déguisements, les livres, la télévision...
Mais l'on peut s'efforcer de séparer le bien-être émotionnel de l'enfant de l'impitoyable jugement social, en l'encourageant à poursuivre ses passions et en valorisant ses centres d'intérêt, même s'ils sont considérés comme "impropres" à son genre. Le Think Progress rappelle d'ailleurs que agir à l'inverse peut avoir un lourd impact sur l'enfant : traumatisé par cette peur du rejet et marqué au fer rouge par l'idée qu'il ne "convenait pas", il risque d'avoir des problèmes de confiance en lui et en ses capacités, une créativité bridée, des problèmes d'expressivité et d'angoisses... Il serait donc temps d'en finir avec le fameux "C'est pour ton bien que je t'empêche de porter du rose".
De plus, encore une fois, l'enfant imite pour apprendre : le modèle que lui offrent ses parents façonne donc considérablement sa représentation du monde et des attentes qui pèsent sur lui. Une mère qui travaille, un père qui participe aux tâches ménagères... Ces petits détails permettent de briser les codes schématiques du genre, et d'élever un enfant qui aura une vision plus nuancée des différences homme/femme. Car avant d'éduquer les générations futures à l'égalité des sexes, encore faudrait-il qu'on parvienne à l'appliquer avec succès dans nos foyers...