Le Waziristan du Sud, une région du nord-ouest du Pakistan qui borde l'Afghanistan, a été surnommé "l'endroit le plus dangereux au monde" . C'est le fief des talibans : ils y font régner dans la terreur une application fondamentaliste et répressive du Coran. Les jeunes filles vont rarement à l'école : elles sont condamnées à rester enfermées chez elles à partir de l'âge de 8 ans. Elles sont vouées à devenir des épouses, des mères et des femmes au foyer ; rien d'autre. Toute occupation différente pour une femme est interdite et sévèrement punie. Une femme n'a pas le droit de faire de sport, par exemple : c'est considéré comme une enfreinte à l'islam. L'histoire de Malala est un excellent exemple du traitement des femmes dans cette région. Mais c'est aussi l'endroit où a grandi Maria Toorpakai Wazir. "Les filles là-bas ont une vie très différente", confirme Toorpakai Wazir dans le New York Times. "On n'autorise pas l'éducation des filles, et elles peuvent être fusillées si elles tentent d'enfreindre cette règle...".
Pourtant, la jeune femme de 25 ans a réussi à échapper au sort tout tracé habituellement réservé aux femmes pakistanaises. Comme le rapporte le New York Times, elle raconte que dès son plus jeune âge, elle se démarque des autres petites filles : elle délaissait les poupées et les robes pour se battre à coups de poing avec les garçons de son âge. "J'avais de la force. Je voulais juste pouvoir faire comme mes frères... Ils couraient partout et se battaient et je pensais que je pourrais faire exactement comme eux" , témoigne-t-elle devant l'assemblée du Women in the World Summit. Mais il est difficile de lutter contre des discriminations lorsque les préjugés sur lesquels elles reposent sont inscrits dans la culture d'un peuple depuis des siècles. Pour vivre libre, il faut naître homme, c'est aussi simple que cela, malheureusement. Et c'est pourquoi Toorpakai Wazir décide qu'à défaut d'être un homme, elle peut au moins cesser d'être une femme.
"Alors j'ai jeté tous mes vêtements de fille au feu et j'ai coupé mes cheveux". Les gens la surnomment "Gengis Khan", le nom mongol du célèbre conquérant Attila. Son père la protège : c'est grâce à lui qu'elle va poursuivre son incroyable aventure.
Elle a l'immense chance d'avoir un père qui n'est pas en faveur de l'enfermement des femmes et de leur discrimination, bien qu'il soit issu d'une ethnie très conservatrice, les pachtounes : "Mon père me soutenait beaucoup et croyait en l'égalité des sexes" , explique-t-elle fièrement à Gillian Tett. Shamsul Qayyum Wazir déménage avec sa famille en ville, à Pershawar, et inscrit sa fille à des cours de sport sous le nom de Gengis Khan en la présentant à chaque fois comme étant son fils. Lorsqu'il constate l'intérêt de sa fille pour le squash, un des sports les plus populaires au Pakistan mais réservé à l'élite urbaine, il l'encourage à continuer en l'inscrivant au club de squash tenu par la force aérienne pakistanaise. Elle bat les garçons à leur propre jeu et dans leur catégorie en gagnant le championnat junior masculin ; elle s'entraîne 10h par jour et devient passionnée. "Le squash m'a amenée à la vie" , dit-elle simplement lorsqu'elle parle de cette période. Elle put jouer comme garçon pendant plusieurs mois avant que son secret soit dévoilé par le directeur de l'académie de squash, qui réclama son acte de naissance. Bien évidemment, le scandale est énorme : "J'ai été persécutée, harcelée plus que vous ne pourriez l'imaginer. C'était infernal". Elle continue sa carrière malgré les explosions de colère que cela provoque partout dans le pays, gagne plusieurs championnats nationaux et même une récompense du président pakistanais.
Un symbole de révolte contre le système religieux
Mais la situation devient délicate. L'histoire de Toorpakai Wazir ébranle les principes sexistes sur lesquels se bâtit la société pakistanaise telle que les talibans l'ont modelée. Involontairement, la jeune femme de 25 ans est devenue le symbole de la volonté des femmes de se libérer des chaînes qu'on leur impose simplement à cause de leur genre. Sa carrière a mis en lumière la possibilité pour une femme de réussir aussi bien –et voire mieux- qu'un homme. Cela met en germe l'idée qu'une femme n'est pas simplement bonne à faire des enfants et à tenir une maison. Idée évidemment absolument intolérable pour les talibans ; ils tentent alors de mettre fin à la carrière (et aux jours) de la jeune Maria Toorpakai Wazir. Le gouvernement pakistanais est obligé d'installer des snipers autour des courts sur lesquels la jeune femme joue afin de la protéger.
Elle est forcée d'interrompre sa carrière à cause des menaces qui pèsent sur son entourage. Enfermée dans sa chambre pendant trois ans et demi pour sa protection, elle continue à jouer au squash dans la petite pièce, quand elle ne bombarde pas de mails tous les joueurs de squash occidentaux qu'elle arrive à contacter afin de solliciter leur aide. "Je n'aime pas abandonner. On a qu'une seule vie, alors on doit tenter sa chance" , confie la courageuse joueuse. Ses suppliques ne restent pas lettre morte. Jonathan Power, champion canadien de squash à la retraite, lui propose de venir au Canada et de la coacher. Elle accepte.
Elle est aujourd'hui la première joueuse de squash du Pakistan, et 54ème au classement mondial. Mais elle n'est pas seulement une excellente sportive qui est parvenue à accomplir son rêve grâce à son courage et à sa détermination. Son histoire est avant tout celle de la lutte d'une femme contre une société sexiste et répressive qui ôte aux femmes leur liberté en leur dictant leur mode de vie ; c'est un cri de révolte contre les régimes qui détournent la religion pour asservir les femmes – et dans le cas de Maria Toorpakai Wazir, c'est aussi un cri de victoire.