Quatre ans après la parution de La fabrique des filles, les éditions Textuel remettent ça avec La fabrique des garçons. Sur près de 160 pages, l'historienne Anne-Marie Sohn raconte comment le garçon devient homme et en profite pour briser les stéréotypes. Car si les femmes souffrent encore des clichés, les hommes ne sont pas en reste. Virilité, sexualité, éducation, engagement politique, culture... Chaque petit rouage de l'usine qui crée l'identité des garçons est enfin disséqué.
On s'en doutait un peu, mais le livre d'Anne-Marie Sohn le confirme : il aura fallu beaucoup de temps avant que les hommes ne reçoivent une éducation sexuelle digne de ce nom. Au XIXe siècle, les gamins et les adolescents s'informaient surtout en écoutant les adultes. Par mimétisme, ils se plaisaient ainsi à manier l'argot du sexe et à chanter des chansons grivoises. Parce que la virginité des filles est jalousement gardée, c'est dans les maisons closes que les jeunes hommes vont se faire déniaiser. "L'initiation sexuelle entérine le droit de 's'amuser' pour les garçons et de pouvoir disposer du corps des femmes" écrit l'historienne. Il aura fallu attendre 1949 pour que les maisons closes ne ferment définitivement leurs portes et 1973 pour que l'éducation sexuelle entre à l'école.
De la première partie du XIXe siècle et jusqu'en 1914, les petits garçons portent la robe et les cheveux longs et il peut donc être compliqué de les différencier des filles. Mais si les tout-petits ne se soucient guère de leur apparence, l'envie de se conformer aux canons de beauté des aînés arrive finalement assez tôt (dès l'école primaire). Pour être viril, il fallait avoir des muscles et surtout, une barbe ou une moustache. Les imberbes étaient carrément moqués ! A la fin des années 1880, les garçons âgés de 9 ou 10 "commencent à s'aligner vraiment sur le modèle des adultes : pantalon, veste courte, col avec un petit noeud en lieu et place du faux col et de la cravate".
Apparue à la même période, la culotte courte reste le vêtement fétiche des petits garçons et ce jusqu'en 1950. Délaisser la culotte courte pour le costume et la cravate signifie enfin la naissance du jeune homme.
Pendant très longtemps, dire ce qu'on pense et se rebeller étaient des privilèges purement masculin. Les étudiants des années 1820 se moquaient des élèves pieux, la solidarité se mettait en place contre l'Administration des écoles, et investir la rue en groupes permettait de contester la supériorité des adultes. Les hommes ont donc eu besoin de transgresser les règles, règles qui n'étaient plus les mêmes avec le temps. Cela pouvait se traduire par une initiation précoce à la cigarette (années 50), un engagement politique (années 60 et 70) ou encore un goût nouveau pour la délinquance. Le film L'équipée sauvage avec Marlon Brando (1953) donna ainsi naissance aux blousons noirs, ces bandes menées par des jeunes hommes asociaux et révoltés.
Comme le note Anne-Marie Sohn, ces bandes de mecs perdurent encore aujourd'hui mais se sont déplacées en périphérie des grandes villes, dans les cités : "Ils ont tout loisir de sortir et d'investir l'espace public, ne serait-ce que pour échapper à des logements trop étroits. Ils y font l'apprentissage des codes du masculin forgés par les copains de leur 'cité'. Le culte de la force, les défis aux règles scolaires, les excès de boisson et de vitesse, les affrontements verbaux et physiques, les provocations et cycles vindicatoires contre les policiers et les bandes rivales, forgent leur identité masculine".
En 1881, les trois quarts des élèves dans les cours des écoles primaires secondaires sont des garçons. Mais peu à peu, les filles se font plus présentent, et surtout, elles les surpassent. A partir de 1938, elles sont plus nombreuses qu'eux à l'école et en 1970 la parité est enfin atteinte au bac. Mais cette présence des filles dans un univers qui leur était auparavant réservé pousse les garçons à se montrer hostile. L'irruption des premières étudiantes à l'université après les années 1880 suscite ainsi une énorme résistance : "Même chaperonnées et escortées par le professeur, ces dernières sont huées dans les amphithéâtres et souvent isolées au premier rang. Les garçons manifestent violemment leur hostilité à une présence qui remet en question leur souveraineté territoriale".
Malgré cela, les filles restent sur les bancs de l'école, ce qui pousse les garçons à se démarquer d'elles autrement : soit en se réservant le travail. Mais à partir des années 60, ils ne peuvent plus s'opposer à l'égalité des sexes et ont donc recours "à la rhétorique du 'oui mais'. Oui au travail des femmes avant le mariage. Non au travail des femmes après le mariage, ou, à la rigueur à mi-temps. Non résolument lorsque l'enfant naît". Ainsi, malgré la libération sexuelle, la perpétuation des stéréotypes subsistent. "Les images les plus sexistes les plus éculées peuvent ressurgir, par un retour du refoulé, dans les publicités contemporaines", note Anne-Marie Sohn, avant de conclure : "Le régime de masculinité a été modifié en profondeur par l'érosion des frontières du féminin et du masculin. (...) La société fabrique pourtant des garçons. Le 'neutre' a progressé, certes, mais ne l'a pas emporté partout".
La fabrique des garçons, 160 pages, éditions Textuel, 35 euros