Dans un pays où des choses aussi simples que porter du rouge à lèvres ou manger seule au restaurant sont interdites aux femmes, le geste le plus anodin peut parfois devenir un acte de lutte. C'est le cas de cette jeune Iranienne qui est sortie sans voile parce qu'elle avait le crâne rasé. Au départ, celle-ci voulait simplement raser ses cheveux pour les revendre au profit des enfants atteints de cancer. Mais ce témoignage de solidarité a pris une dimension différente lorsqu'elle a décidé de sortir sans voile, puisqu'elle n'avait plus de cheveux à dissimuler : un véritable acte de rébellion dans un pays où il est inconcevable pour une femme d'apparaître en public la tête nue.
La jeune femme, qui a tenu à rester anonyme, a envoyé sa photo au groupe Facebook "My Stealthy Freedom", en précisant en légende : "J'ai vendu mes cheveux pour aider ces adorables petits anges atteints de cancer. Quand je sors dans la rue, je me dis 'Pas de cheveux, pas de police des moeurs !' Ceux qui me disent toujours de me voiler les cheveux n'ont plus aucune bonne raison de m'arrêter à présent".
Tout comme elle, de nombreuses Iraniennes témoignent sur les réseaux sociaux de leurs tentatives pour lutter contre le voile : beaucoup l'enlèvent en voiture ou font glisser leur hijab à la moitié de leur tête pour dévoiler au maximum leur visage et leurs cheveux. Mais se raser le crâne pour pouvoir sortir la tête nue est une provocation explicite et audacieuse, qui risque de ne pas être tolérée par l'Ershad , la police religieuse. Cette dernière veille à ce que la charia soit scrupuleusement respectée et n'est pas connue pour son indulgence. Le port du voile étant obligatoire depuis la révolution islamique de 1979 et déroger à cette loi de fer peut être puni par des amendes, des peines de prison et des coups de fouet. Mais cet acte de protestation témoigne de la réalité des femmes iraniennes, que l'on voile et dévoile à l'envi au fil des siècles. Et elles sont de plus en plus nombreuses à engager une véritable bataille souterraine contre le gouvernement religieux et ultra-conservateur de Rohani.
Les réseaux sociaux sont devenus le vecteur d'expression de cette lutte : le groupe "My Stealthy Freedom", sur lequel la jeune femme a posté son cliché, publie régulièrement des photos de femmes iraniennes dévoilées et compte déjà plus d'un million de membres. Des Iraniennes y exposent leurs moments de "liberté furtive", les moments où elles ôtent un moment leur hijab en secret sur une plage, dans un champ, et même dans une université ou sur des places publiques... Masih Alinejad, journaliste et militante pour les droits de la femme exilée en Angleterre, a appelé les femmes étrangères à partager ces photos sur les réseaux sociaux afin de montrer le vrai visage de l'Iran : "Ce n'est pas la culture iranienne" a-t-elle déclaré tristement à L'Obs en parlant de l'obligation de porter un hijab.
Elle avait lancé le groupe en mai 2014 après la polémique qui avait entouré la réouverture de la ligne Paris-Téhéran, pour soutenir les hôtesses de l'air qui refusaient de se voiler à leur arrivée en Iran et encourager les femmes à protester contre la discrimination de genre imposée par le hijab. Le hastag #seeyouiniranwithouthijab incitait notamment les étrangères à ne pas se plier au diktat du voile imposé par le régime et à ne pas se voiler lorsqu'elles viennent en Iran.
De la même manière, l'avocat Christian Charrière-Bournazel dénonçait avec virulence dans une chronique pour le Huffington Post la "compromission révoltante" des femmes politiques occidentales qui viennent en Iran et acceptent de porter un foulard, "ce déguisement consenti et cette reddition de femmes libres à l'Islam radical". Et il s'interroge très justement : "Au nom de quoi, lorsqu'on représente un État ou un groupe d'États démocratiques ayant pour fond commun la liberté, faut-il se travestir pour être reçu dans un pays totalitaire et y afficher les symboles même de l'assujettissement de la femme aux hommes ?".
Rester cheveux (ou crâne) au vent : voilà donc comment protester contre le traitement imposé aux femmes en Iran. Mais ce n'est pas sans risque : huit personnes liées au milieu de la mode et accusées de propagation de "culture anti-islamique", notamment pour avoir publié des photos de femmes non voilées sur Instagram, ont été arrêtées lundi 16 mai, d'après l'AFP. Et Le Monde rapporte que Mostafa Alizadeh, porte-parole du Centre de la cybercriminalité organisée, est apparu à la télévision iranienne pour accuser des "agents étrangers" - Kim Kardashian et Kevin Systrom, le PDG d'Instagram, de vouloir manipuler "la jeunesse et les femmes" iraniennes en faisant la promotion d'un mode de vie occidental.