Désormais, Terrafemina vous propose son "Lexique" afin de comprendre le sens de termes de plus en plus employés... Mais pas toujours définis au mieux, quand il s'agit d'aborder les enjeux féministes, mais aussi le rapport au genre, à l'orientation sexuelle et à l'identité.
Exemples ? Féminisme intersectionnel, misandrie, non-binarité, pansexualité, cisgenre, transphobie... Ils ne manquent pas, ces mots sur lesquels vous êtes déjà forcément tombé, mais qui ont nécessité une petite recherche Google.
Quitte à sérieusement vous emmêler les pinceaux. Pas de panique, nous sommes là pour ça. Et si nous commencions par le terme au coeur de bien des causes, oeuvres culturelles populaires et autres manifs ? Un mot anglais qui au fil des décennies fut employé pour désigner les personnes homosexuelles, avant que que son sens ne devienne plus profond encore...
Ce terme, c'est évidemment : "queer".
Un mot d'actu : il est revenu sur le devant de la scène avec la diffusion l'an dernier sur Peacock de la série Queer As Folk, la nouvelle version du show américain éponyme (et cultissime), relatant le quotidien d'un groupe d'amis, homos et lesbiennes, entre crises de coeur et coming out. On pense également à une émission de téléréalité associant relooking, cuisine, mode, déco, à retrouver sur Netflix : Queer Eye. Un programme populaire mettant en scène cinq gays trentenaires.
Plus encore, si les séries vous passionnent, vous n'avez pas pu échapper aux récents et nombreux articles dédiés à vos persos préférées. Sur le web, certains sites se demandent ainsi si Mercredi Addams, incarnée par Jenna Ortega dans le show Netflix du même nom, "est queer" ou pas. En parallèle, d'autres s'interrogent concernant Eloïse Bridgerton, l'héroïne des Chroniques de Bridgerton (sur Netflix toujours) : "et si elle était queer ?".
On l'a compris, le "queer" est chic. D'accord, mais kézako ?
"Queer" est un adjectif anglais. Dans la langue de Shakespeare, il signifie "bizarre" ou "étrange". Assez tôt, le terme fut précisément employé pour "insulter les hommes homosexuels", précise le site d'Interligne, centre spécialisé en matière d'aide pour la communauté LGBTQ. Oui, tous les hommes homos d'un coup.
"Assez tôt", c'est un euphémisme : le très complet roman graphique Queer Theory, paru en début d'année chez nous (Ed. La Découverte), nous apprend que "queer" est devenu une insulte homophobe... Dès la fin du dix-neuvième siècle. En 1894 déjà, on trouve dans des lettres des occurrences du terme en tant qu'insulte exprimant la haine des gays, révèle l'autrice Meg-John Barker.
Mais dans les années 80, les principaux concernés se réapproprient le mot et en font une forme de fierté, de signe d'appartenance : la communauté gay se définit comme "queer" pour mieux rétorquer aux homophobes et défendre leur droit d'exister, qu'importe si leur "étrangeté" offusque les plus réacs. En 1990 par exemple, la Gay Pride de New York accueille en ses rangs un groupe de militants baptisé "Queer Nation".
Mais depuis les années 80, le "queer" a bien changé.
Ainsi pour le Larousse, ouvrage de référence incluant les mobilisations de son époque (l'an dernier, le dictionnaire accueillait le terme "Grossophobie"), est désormais queer toute personne "dont l'orientation ou l'identité sexuelle ne correspond pas au modèle social hétéronormé, et qui affirme son refus des catégories liées au sexe".
Par "catégories", il faut comprendre "binarité" : la désignation de deux genres, le masculin et le féminin, qui correspondraient à tout un éventail de stéréotypes bien connus dans notre société.
Par exemple ? Apprendre aux petites filles à rêver au prince charmant - un homme, forcément. Banaliser des clichés du style "le rose pour les filles, le bleu pour les garçons" ou "les garçons ne doivent pas pleurer", et autres inepties. Bref, tout ce qui définit le "modèle social hétéronormé", pour reprendre les mots du Larousse. Cela incite à agir selon des valeurs et des schémas qu'on nous a vendu comme des "trucs de mecs" ou "de meufs".
Serait queer une personne qui contesterait ces assignations, et encouragerait à penser, et à SE penser, par-delà cette binarité "hommes/femmes". Un état d'esprit de plus en plus médiatisé de nos jours. Dans la mode, sur les réseaux sociaux et dans l'art, des hommes ont ainsi progressivement affirmé ces dernières années leur plaisir à porter des jupes ou du vernis à ongles par exemple.
C'est le cas du chanteur Harry Styles, auquel a pu être associé le mot "queer". Cependant, des militants LGBT accusent l'artiste de "queerbaiting" : médiatiser une posture "queer" de manière opportuniste afin de fédérer toute une communauté. Il n'empêche, l'exemple hyper "mainstream" de Harry Styles est venu d'autant plus imposer le qualificatif de "queer", comme volonté de bousculer les stéréotypes de genre. De ne rien figer.
En somme : de refuser les étiquettes et l'identité fixe qui va avec. Ne pas juste se dire "gay", "homme", "femme", "lesbienne", mais penser son identité et son rapport au monde par-delà tous ces mots qui peuvent cloisonner.
C'est d'ailleurs là la conclusion d'un guide illustré pour les plus jeunes (à partir de 14 ans) édité par Gallimard Jeunesse et sorti en février dernier, l'excellent Queer et fières. Ses autrices Rowan Lewis et Jacky Sheridan expliquent que les personnes qui se revendiquent queer le font notamment "parce que d'autres étiquettes ne leur correspondent pas".
Et qu'elles trouvent en ce "queer" devenu beaucoup plus théorique qu'il y a quarante ans la catégorie parfaite : celle de n'en avoir aucune...