Au Liban, 18 confessions divisent la vie publique et dictent les lois religieuses qui régissent le "statut civil", les questions liées au mariage par exemple. Si le préjugé d'une société patriarcale veut que de nombreuses Libanaises soient avant tout "de bonnes mères", les jeunes filles de la "Girls Football Academy" ont choisi d'améliorer leurs talents footballistiques dans un climat de compréhension et d'acceptation mutuelles. A 16 ans, Serena Haykal Sleiman perçoit l'académie comme "une grande famille, avec des gens de différentes religions et couleurs mais avec une même passion." "Nous avons gagné le championnat avec un même esprit et un même coeur. Si la religion comptait sur le terrain, nous n'aurions jamais gagné le championnat", renchérit-elle dans un discours enthousiaste.
Fondée en novembre 2011 sur le concept d'une institution 100% dédiée aux femmes, l'académie accueillait dès l'origine une quinzaine de joueuses et faisait alors figure de précurseur au Moyen-Orient. A la tête de ce projet unique, la footballeuse de première division et internationale libanaise Nadia Assaf, associée au Français d'origine libanaise, Walid Arakji. Une première qui surprend selon Walid Arakji, "le football féminin est tellement peu médiatisé que la majorité des gens ne savent pas qu'il y a un championnat féminin ainsi qu'une équipe nationale. Au début, les parents des joueuses ne comprenaient pas trop pourquoi leurs filles voulaient jouer au football".
Aujourd'hui l'académie réunit une soixantaine de joueuses et les résultats sont au rendez-vous. Côté finances, les débutantes doivent s'acquitter d'une adhésion mensuelle de 100 dollars tandis que les joueuses de l'équipe officielle sont formées gratuitement. "Mais si une fille n'a pas les moyens, on ne lui ferme pas la porte", tient à préciser Walid Arakji. Et ces deux fervents supporters du football féminin voient "long terme". Ils souhaitent aux jeunes femmes de pouvoir intégrer l'équipe nationale du Liban et ainsi porter hautes les couleurs libanaises en Coupe d'Asie.
Loué au "Nejmeh Sporting Club", le terrain d'entraînement de la "Girls Football Academy" est entouré des nombreux contrastes qui représentent le Liban de 2015 : immeubles de haut standing et murs anciens, manège et camp palestinien, mer et vue sur le Mont Liban, drapeaux libanais et affiches publicitaires.
Samedi matin 10h30, l'équipe féminine des moins de 17 ans débute son entraînement sous la direction de Walid Arakj. Né à Wimbledon (Angleterre), Walid a vécu 26 ans en France où il a joué dans plusieurs équipes de football.
Après la théorie, place à la pratique du contrôle-frappe. Comme Gabrielle Cherfane, 17 ans, nombre des jeunes filles inscrites à l'académie disposent d'un haut niveau d'éducation, aidées par les environnements privilégiés dont elles sont issues.
L'entraînement de l'équipe moins de 17 ans a lieu deux fois par semaine : le lundi et le samedi. Chaque entraînement est effectué en présence de l'entraîneur, Walid Arakj, ainsi que d'un préparateur physique.
Le 29 novembre, les jeunes footballeuses partent pour un match de championnat sur fond de musiques et de rires. Dans le nord du Liban, à quelques kilomètres de la ville de Tripoli, elle affrontent l'équipe de Zgharta.
Après deux heures de route, le car des joueuses s'immobilise devant le stade Al Salam de la ville de Zgharta. Il est 14h. La population de cette ville du nord Liban est estimée à environ 50 000 habitants.
Déjà 16h et le terrain est toujours occupé par un match de football masculin. Les premiers échauffements se déroulent donc dans un couloir du stade Al Salam, sous la supervision de Gabrielle Cherfane, capitaine de l'équipe. Moment que choisit Doumouh Bakkar, 25 ans, arbitre du match et joueuse de première division pour venir se confier : "Au début, nous devions faire face à de nombreux challenges et à des refus de la société. Jour après jour, les choses changent et nous sentons une meilleure acceptation de la part de la société et de nos familles. Maintenant, je suis Doumouh l'arbitre, la manageuse en ressources humaines, l'étudiante à l'université et une femme pleine de féminité pour mon homme".
La préparation se poursuit par des lancers de ballons et contrôles au pied. En arrière-plan, les quelques enfants présents à la cafétéria du stade Al-Salam assistent à la séance d'échauffement des joueuses, le regard curieux. A 16h15, Joelle Humeidan, Rayane Taha et ses partenaires entrent sur le terrain sous les applaudissement d'un public clairsemé. Avant chaque match, les joueuse s'unissent en rond et "chacune d'elles effectue sa propre prière" affirme Serena Haykal Sleiman en référence aux questions religieuses qui divisent le pays.
Alors qu'un coup de sifflet annonce le début de match, seules quelques dizaines de personnes occupent les tribunes du stade Al Salam.
En vue d'un changement de composition décidé par l'entraîneur, Aya Boukhari et Zahraa Taha s'échauffent sur le bord du terrain alors que la nuit tombe sur la ville de Zgharta. Sur le terrain, le match est en cours et les jeunes femmes de la "Girls Football Academy" marquent. Les joueuses inscrivent plusieurs buts et l'équipe de l'académie mène déjà largement à la mi-temps.
Dans les tribunes du stade, de jeunes spectateurs assistent au match en compagnie de leurs parents. Un moyen de faire découvrir à la future génération l'existence du football féminin alors que la "Girls Football Academy" se heurte parfois à la réticence de parents qui considèrent que le football n'est pas un sport pour les filles. Existant en France, les réactions de ce type sont plus fréquentes dans une culture où les activités sportives se conjuguent bien souvent exclusivement au masculin.
Penalty et but ! 15-1 : score final. Sous les applaudissement de leur coach et des spectateurs, les jeunes femmes rentrent au vestiaire pour célébrer la victoire.
Reportage et photos : Sebastian Castelier.