Son éveil féministe, Fanny Vedreine l'a eu il y a 8 ans, lors de la mort de son père. C'est avec sa disparition qu'elle s'est rendu compte de la domination masculine exercée dans sa famille et plus largement, au sein de la société. Elle a alors entamé une longue déconstruction de tous les piliers de sa vie, sorte d'atterrissage à face par bien des aspects violent dans une réalité brutale.
Dans son premier essai intitulé Comment le féminisme va ruiner ta vie (pour mieux le reconstruire, promis) (ed. Mango Society), l'autrice installée à Nice raconte, au fil de 10 chapitres qui abordent chacun un domaine précis, comment ce cheminement a, justement, détruit sa vie. Puis l'a reconstruite pour lui permettre d'atteindre une liberté jouissive qui la définit aujourd'hui.
Un texte intime, dont l'écriture a été "la chose la plus difficile qu'elle ait fait de [sa] vie", estime Fanny Vedreine lors de notre échange par téléphone. On en a profité pour évoquer plusieurs thématiques fortes. Et notamment, la place importante qu'elle donne aux émotions dans ses pages, à la source de beaucoup de problématiques actuelles et ancestrales. Entretien.
Fanny Vedreine : Je pense que c'est impossible, les émotions font de nous des êtres humains. Les personnes qui vont à l'encontre de leurs émotions (sans aucun jugement car la société nous brise par rapport à ça) finissent toujours par péter les plombs. Comment veux-tu être militant·e pour une cause, ce qui implique avoir de l'empathie, si toi même tu n'es pas capable de dire quand ça va pas, quand t'es révoltée ? La révolte vient d'une émotion. Oser affirmer sa colère contre quelque chose est essentiel pour militer.
Tout ça est très lié aux injonctions du patriarcat. Il y a un vrai bashing autour de l'émotion en général, celle des femmes notamment mais aussi des hommes. Comment ont fait nos grands mères, nos arrières grands mères nos ancêtres pour avoir le droit de vote ? Grâce à la révolte collective. Si elles n'étaient pas sorties dans la rue en criant, en étant en colère on n'aurait peut-être pas encore le droit de vote en tant que femmes.
F. V. : Non, on ne le sera jamais vraiment. Dans la mesure où les réflexes du patriarcat peuvent se nicher absolument partout, toute notre vie nous avons des choses à apprendre et à réaliser. Toute notre vie, quand on a envie d'être engagé sur le chemin de la déconstruction en tout cas, on va décortiquer des choses de notre passé, de notre famille, de nos proches, de la parentalité, de notre couple. Et cette espèce de violence plus ou moins forte, celle de se confronter à ses propres biais, arrive quotidiennement. C'est le chemin d'une vie.
F. V. : C'est encore en lien avec l'émotionnalité. Comment veux-tu t'occuper des autres si toi-même tu te négliges ? C'est apprendre à dire non, aussi. Et à ne pas culpabiliser de dire non. C'est ça le problème avec l'éducation des filles : les filles n'ont pas le droit de dire non. On attend d'elles qu'elles soient gentilles et si elles s'imposent, qu'elles disent non parce qu'elles n'ont simplement pas envie, qu'elles s'écoutent, on leur reproche implicitement de sortir de la normalité patriarcale. Cela va jusqu'à la sexualité, avec le consentement. On a le droit de dire non et c'est quelque chose qu'il faut marteler.
F. V. : Avant la mort de mon père, je pensais que c'était lui, ou mes frères, ou les hommes avec qui je couchais, qui devaient gérer des pans de ma vie. Je me mettais complètement au second plan. Après son décès, je me suis retrouvée toute seule à devoir prendre mes propres décisions. Je ne sais pas comment serait ma vie s'il était encore en vie. Son départ, bien que très douloureux, m'a permis une réelle libération. J'ai pris en pleine face la réalité sur la soumission totale aux hommes. Et j'y ai réagi. Soit tu regardes ta vie passer, soit tu décides d'en être l'actrice principale. Dans les deux cas il y a de la souffrance, mais dans le mien, je suis libre et je me suis tellement fait entendre depuis 8 ans que plus personne n'a le droit de me dicter ce que je dois faire.
F. V. : Ce sont mes neveux, je n'ai que des neveux, mais c'est aussi un symbole. Un moyen de leur dire d'essayer de comprendre ce qui se passe lorsqu'ils seront plus grands, et de ne pas faire les mêmes erreurs que leurs pères. De ne pas reproduire de schémas problématiques au cours de leur vie.
F. V. : Ce sont les lunettes du féminisme. Les lunettes c'est quelque chose que tu enlèves souvent. Ca représente l'ambivalence dans laquelle tu évolues quand tu es féministe, et que tu es face à des personnes qui ne partagent pas tes convictions. C'est aussi voir la vie autrement, te déconstruire et capter tous les schémas problématiques. Quand tu enlèves ces lunettes-là, c'est aussi une façon de refuser de voir la réalité. C'est confortable de ne rien voir. Mais on avance mieux en voyant clair.
F. V. : Je vais reparler du principe de prendre soin de soi. L'idée est certes de ne pas baisser les bras, mais pas non plus de se miner. Il faut continuer à lutter, à se révolter, à aller voter. Si on baisse les bras, il n'y a plus personne. On est dans un moment où il faut parallèlement prendre soin de soi encore plus. Eduquer ses enfants, s'éduquer soi-même, nourrir son esprit un maximum. Ne pas culpabiliser de ses failles et encore une fois : être à l'écoute de ses émotions.
Comment le féminisme va ruiner ta vie (pour mieux la reconstruire, promis), de Fanny Vedreine. Ed. Mango Society