"On ne peut plus draguer depuis #MeToo". Cette phrase, on l'a entendue plus d'une fois de la bouche d'hommes cisgenres issus de notre cercle plus ou moins proche. Quelques mots qui, à défaut de déclencher un vent de compassion pour leurs petites personnes désemparées face à la révolte féministe, ont tendance à provoquer un roulement de yeux jusqu'à s'en décoller les rétines, quand on ne décide pas de leur répliquer plus ou moins frontalement qu'ils feraient mieux de la fermer.
C'est justement avec cette réflexion, celle de ne plus "pouvoir draguer depuis #MeToo", que l'autrice Fanny Vedreine, aussi rédactrice en chef et fondatrice de la revue écoféministe Le String, entame son premier livre, Séduire sans soûler (ed. Mango).
Elle écrit : "Depuis les vagues de dénonciations dans les médias et sur Twitter avec les hashtags #MeToo ou #balancetonporc, des hommes, accoudés au comptoir de leur bar préféré, paniquent, bégayent ou renoncent à l'idée d'aborder une femme." Et de rappeler à qui n'aurait pas saisi la nuance : "Pourtant, dénonciation ne signifie pas délation ni manipulation."
L'autrice nomme par ailleurs un coupable plus grand que ces simples individus : le patriarcat, dans lequel nous baignons tous et toutes depuis la plus tendre enfance. "Ce concept social, dans lequel l'homme exerce un pouvoir, une autorité dans tous les domaines, ne signifie rien d'autre que la désignation du père et de l'homme en général, comme dominant suprême. Tout un mécanisme qui emprisonne les femmes dans la case de la docilité... et les hommes, dans celle du pouvoir." Et qui prend racine dans la façon dont nous nous abordons les un·e·s les autres. Ou plutôt, dicte aux femmes d'attendre sagement d'être abordées.
Alors, pour déconstruire certains acquis tenaces et donner quelques pistes à ses lecteurs et lectrices qui les encourageront à changer leurs techniques d'approche, comme leur comportement général au sein de rapports hétéronormés, Fanny Vedreine signe un guide aussi utile et documenté que piquant et percutant. On a discuté.
"La séduction est partout, à la base des échanges. Même s'il n'y a pas de recherche de relation sentimentale, on séduit de plein de manières différentes", affirme Fanny Vedreine. "C'est l'essence des rapports entre hommes et femmes", dans la mesure où nous sommes dans une société hétéronormée et patriarcale, précise-t-elle. Et cette dynamique comme on nous l'a transmise est problématique.
En France notamment, comme l'épingle l'autrice, la "séduction à la française" est particulièrement empreinte de codes douteux qui laissent peu de place aux désirs de la femme, nourrissant par bien des aspects la culture du viol. "Historiquement, le lien entre séduction et culture du viol vient du fait que la femme fait office de 'proie'. Les hommes ne veulent pas entendre le 'non'", poursuit-elle. "On peut entendre la phrase 'c'est un non qui voulait dire oui', par exemple. La séduction à la française avait, jusqu'ici, complètement oublier le sens de la négation et l'avis des femmes en général. Et celles-ci ont appris par culture à s'y soumettre."
Une réalité entretenue par nombreuses oeuvres populaires. "C'est comme la phrase de Jean-Claude Dusse (dans Les Bronzés, ndlr) : 'Sur un malentendu, ça peut marcher'. Elle est culte, elle fait rire, et même moi, elle m'a fait rire. Mais malheureusement, elle est ultra-problématique. Comme beaucoup de rom-coms, qui valorisent le personnage du macho, du prince charmant. Tout un tas de choses qui rentrent dans l'inconscient collectif". Et finissent par convaincre les concernées qu'elles doivent rester passives dans l'approche.
Pour elle, disséquer ce sujet est donc essentiel, et bénéfique à chacun·e. "J'ai écrit ce livre sincèrement autant pour les femmes que pour les hommes. Je suis convaincue que les femmes doivent aussi apprendre et comprendre qu'elles ont totalement le droit de dire 'non' comme de faire le premier pas."
Ne plus se positionner comme étant tributaire des désirs de l'homme, mais bien actrice des nôtres.
"Même si le fond est grave, parce qu'on veut que les choses changent, l'amour est un sujet léger censé nous faire du bien", continue Fanny Vedreine. Et justement, il serait temps qu'il le reste.
Mais alors, comment séduire sans soûler, ni être soûlé·e ? En repensant les techniques d'approche, en acceptant l'échec, en priorisant le consentement, en donnant de l'importance à l'autre, en s'affranchissant de carcans et d'injonctions normatives nocives, et en prenant soin de soi. Autant de conseils qu'on découvre au gré de références pop, de citations, de repères historiques et sociaux, et qui convainquent que, si si, une drague saine et positive est possible.
"Ce qui me donne de l'espoir, c'est aussi de voir toute la culture qui arrive autour d'une séduction saine et respectueuse, du consentement", confie encore l'autrice. "Comme Sex Education, Normal People de Sally Rooney... De voir tous ces comptes sur les réseaux sociaux dont j'aurais terriblement eu besoin ado. Ça me conforte dans l'idée que ça va être possible, qu'on va voir beaucoup plus de scènes agréables dans les bars (Fanny Vedreine a travaillé pendant 10 ans à Pigalle dans le milieu de la nuit, ndlr), de mecs qui réagissent quand une fille est harcelée dans la rue. Pour que l'égalité s'installe." Vivement.
A la fin de son ouvrage, elle conclut : "Prendre la décision de changer radicalement sa façon d'aborder les personnes qui nous plaisent, de les convoiter et de les écouter est un acte de rébellion face aux institutions hétéro-patriarcales qui ont façonné le prisme de la misogynie et du sexisme". Alors, en marche ?
Séduire sans soûler, de Fanny Vedreine, ed. Mango. 9,95 euros. 80 p