Ses détracteurs ont beau avoir essayé de l'entraver, Loubna Abidar reste une femme libre. Libre de ses choix, qu'elle assume avec un aplomb et un courage remarquables, malgré les menaces de mort qui pèsent contre elle dans son pays natal, le Maroc. Son seul tort : avoir prêté ses traits à Noha, une prostituée de Marrakech dans Much Loved, de Nabil Ayouch.
"Au Maroc, mon nom est devenu synonyme de pute"
Sa prestation, magnétique, lui a valu d'être encensée au dernier Festival de Cannes où Much Loved était présenté dans la sélection Quinzaine des réalisateurs. Mais elle lui a aussi valu de devenir la cible favorite des conservateurs et des hypocrites, qui affirment que la prostitution n'existe pas au Maroc. Insultée dans les médias et sur les réseaux sociaux, menacée dans la rue, Loubna Abidar cristallise la haine, alors même que le film a été interdit dans son pays. "Au Maroc, mon nom est devenu synonyme de pute. On dit aux petites filles : 'Tu finiras comme Abidar'", raconte la comédienne dans ELLE.
Déjà difficile depuis la présentation du film à Cannes, la vie de Loubna Abidar tourne au cauchemar quand, le 5 novembre dernier, elle est enlevée et séquestrée pendant plusieurs heures par des jeunes gens saouls qu'elle avait croisés dans la rue à Casablanca. Rouée de coups, elle réussit à s'en sortir vivante et poste à son retour chez elle des photos de son visage tuméfié sur les réseaux sociaux. S'en suit un déferlement de haine inimaginable. "Le lendemain [de l'agression], une chanteuse marocaine dont je tairai le nom a écrit sur son Facebook : 'Dommage, j'aurais préféré qu'elle meure. Je rêve de la coincer dans une ruelle et de lâcher trois pitbulls qui la dévoreraient jusqu'aux os'." Un autre lui écrit : "Moi, je ne te frapperais pas. Je me contenterais de te violer."
Pourtant, assure Loubna Abiar, "ces trois jeunes, je ne leur en veux pas, j'en veux en revanche à la presse marocaine. Elle raconte n'importe quoi sur mon compte depuis la polémique engendrée par les extraits du film piratés sur internet au moment où il a été présenté à Cannes."
Calomniée dans les médias, méprisée par les forces de police qui refusent d'enregistrer sa plainte, Loubna Abidar prend la décision de s'exiler en France grâce à un visa touristique pour garantir sa sécurité. Hébergée chez une amie en Normandie, Loubna Abidar découvre alors qu'ici, son histoire ne suscite aucune haine, mais au contraire du respect et de la compassion. "Les gens me reconnaissent dans la rue, m'adressent beaucoup de sourires et de bonnes paroles. Ça change, explique-t-elle."
Depuis, Loubna a déménagé dans une autre petite ville, dont elle tait le nom par crainte de représailles. D'autant qu'elle pourrait bientôt être contrainte de retourner au Maroc pour refaire faire son visa touristique, qui a expiré. "La procédure normale m'impose de me rendre au Maroc pour y faire une demande de visa long séjour. Mais si je retourne là-bas, je crains qu'on ne me laisse plus repartir. [...] J'ai laissé ma fille de 6 ans au Maroc avec mon mari. Je ne peux pas la ramener."
Sa nomination surprise aux César pourrait l'aider à poser définitivement ses valises en France. Nommée aux côtés de Catherine Frot, Catherine Deneuve et Isabelle Huppert dans la catégorie meilleure actrice, Loubna Abidar n'imagine pas poursuivre sa carrière ailleurs qu'en France. "Oui, je veux vivre ici, continuer à défendre la femme et l'enfant arabes, tourner des films engagés. Je vais monter une association qui vient en aide aux prostituées. J'ai quelques économies, des projets de tournage, un contrat de travail avec les éditions Stock pour un livre. Je loue un appartement...", détaille-t-elle à Télé Obs.
Et qui sait, peut-être que ce soir, le talent de Loubna Abidar sera récompensé par un César de la meilleure actrice. Après tout ce qu'elle a enduré, c'est tout ce qu'on lui souhaite.