La pratique ne date pas d'hier et pourtant, l'expression qui la qualifie reste plutôt récente. Le mansplaining (ou l'explication au masculin, pour les puristes), c'est le fait pour un homme d'expliquer à une femme ce qu'elle connaît mieux que lui. Avec un ton paternaliste bien de chez nous - et par "nous", on entend l'ensemble des sociétés patriarcales - qui irrite autant qu'il frustre.
L'un des exemples les plus parlants s'il en est : le jour où cet utilisateur de Twitter s'est senti pousser des ailes et a assuré à Jennifer Gunter que la "vulve" et le "vagin" étaient en réalité la même chose. Et qu'il fallait qu'on arrête de chipoter, nous sales féministes extrémistes, pour la bonne raison qu'on utilisait ce terme depuis toujours (en gros). Ou plus précisément : parce que les hommes utilisent ce terme depuis toujours.
Seul problème, la Dr Jen Gunter est en réalité une gynécologue reconnue. Un détail qui aurait dû, on vous l'accorde, freiner l'homme dans son élan dès qu'elle lui a notifié mais qui, et c'est là le comble, ne l'a pas arrêté une seconde. Lui, du fait qu'il possède un pénis, savait davantage qu'une femme, qui possède et une vulve et un vagin, qu'une gynécologue (et donc forte de nombreuses années passées à étudier l'organe), quelle était la terminologie exacte dédiée à son sexe.
A la lecture de cet échange désormais disparu des réseaux sociaux, on s'est dit qu'une telle confiance en soi méritait tout de même un peu de considération. Car pour tenir tête à une docteure quand on est loin d'avoir fait médecine, sur un sujet qu'elle connaît sur le bout des doigts, il faut avoir une sacrée estime de sa personne. Et puis surtout, on a pensé à certains hommes qui rêveraient eux aussi de prendre leur courage à deux mains, pour apprendre la vie à ces petites ingrates qui se croient tout permis depuis qu'on les a autorisées à faire des études.
Parce qu'on se sent l'âme charitable, on a donc mis au point un guide pour vous permettre de devenir, vous homme des cavernes, un as en la matière.
Vous ne connaissez pas celle que vous venez contredire sur son propre terrain ? Faites fi des conventions et adressez-vous à elle directement par son petit nom avant de dérouler votre argumentaire. La formalité c'est pour les faibles qui respectent les femmes. Vous, vous êtes un homme, "un vrai", alors rappelez-lui subtilement qui est le maître ici.
Comme à une enfant de cinq ans, dites-lui "Marie", "Emma", "Josette", puis enchaînez avec quelques phrases qui la mettront hors d'elle, l'hystéro. De quoi rajouter une once de condescendance à vos propos. Car, avouez-le, jamais vous n'aurez interpellé un expert masculin par son prénom. Vous vous imaginez en train de vous opposer au savoir de "Bruno" (Lemaire, ministre de l'Economie) ? Impossible. En revanche, critiquer "Marlène" (Schiappa, secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes), aucun problème.
Le site américain féministe Bust conseille à juste titre de vous affranchir des expressions "Je pense" ; "J'estime" ; "A mon avis", et d'y aller franco avec vos suppositions comme s'il s'agissait de faits avérés. En même temps, ils le sont, puisqu'ils sortent de votre bouche. Attention cependant à ne pas trop raconter de conneries, les femmes ont quand même la capacité de s'en rendre compte. Surfez plutôt sur cette ligne trouble entre l'information et la désinformation qui nourrit si bien vos heures de trolling dominicales. Et vous a permis d'asseoir une popularité solide dans le domaine.
Votre interlocutrice répond par des arguments clairement instruits, expérimentés personnellement et mieux sourcés que les vôtres ? Ne soyez pas déstabilisez, et contentez-vous de répondre que son "point de vue" est aussi valide que le vôtre (même si clairement, vous n'y connaissez rien). Bust avance cependant une réalité importante à garder en tête : "N'oubliez jamais : elle voit à travers les yeux d'une femme, et cela l'aveugle sur la façon dont les choses fonctionnent réellement".
Après tout, c'est ce que les femmes veulent : connaître l'avis que se font les hommes sur leur personne, et rester dans leurs bonnes grâces. Même si vous décidez, par pure bonté, que vous êtes d'accord avec ses propos, n'oubliez pas de lui apporter une validation qui ne fera que renforcer votre position de supériorité. Même si le sujet est exclusivement féminin, ou basé sur un vécu que vous ne partagez pas. Il est important qu'elle sache qu'elle a votre approbation. Ce n'est qu'avec celle-ci qu'elle réalisera qu'elle a avancé une analyse percutante. Ou complètement à côté de la plaque.
Insistez donc sur les aspects qui vous convainquent ou non dans sa prise de parole, et qui restent totalement indépendants du sérieux de son savoir : son ton, son phrasé, sa capacité à retenir votre attention, son humour et son apparence (vous arriverez bien à dégoter une photo sur son profil).
Les raisons qui l'opposent à vous sont forcément liées à d'autres facteurs que son intelligence et ses recherches pointues sur le sujet. Elle est soit trop jeune, et donc pas assez expérimentée, soit trop vieille et à la masse.
Physiquement aussi, certaines caractéristiques peuvent peser dans la balance. Vous ne la trouvez pas à votre goût ? Son aigreur est à la base de son désaccord. Séduisante ? On n'a jamais dû oser la contredire, ce qui explique qu'elle ose énoncer des propos qui ne correspondent en rien à votre propre vision de la chose, qui elle est toujours fiable à 100 %. Petite astuce : si elle vous plaît, ne lésinez pas sur les allusions lourdes pour lui faire comprendre votre attirance. On n'est jamais à l'abri d'une rencontre.
Elle a ses règles ou quoi ? Les femmes ne peuvent pas accepter les critiques, c'est dingue. Vous qui souhaitez seulement lui faire remarquer les erreurs dans son jugement, vous récoltez la carte du sexiste misogyne. Incroyable. Vous êtes pourtant tout ce qu'il y a de plus charmant et gentleman : vous faites toujours bien attention de tenir la porte aux passantes derrière vous, histoire qu'elles ne se blessent pas avec leurs petits bras. Pendant ce temps-là, madame se plaint que vous ayez osé hausser le ton. Elle devrait être contente, il en existe des pires ! Enfin, ça vous confortera dans l'idée qu'avec les femmes, on ne peut jamais discuter sans qu'elles fassent preuve d'agressivité.