Comment a été traité le féminicide de l'actrice Marie Trintignant par le chanteur Bertrand Cantat en 2003 dans cette chambre d'hôtel de Vilnius ? Et que nous raconte au juste ce traitement médiatique sur notre rapport au genre, au sexisme, à notre culture, à certaines définitions de "l'amour" et des violences ?
Cela, c'est ce que cherche à savoir un nouveau podcast signé Binge Audio : "Marie Trintignant, enquête sur le dernier crime passionnel". Et ce en réunissant les voix de reporters qui ont pu couvrir "l'affaire" à l'époque dans les journaux - Libération, Le Parisien... Et en citant la presse rock d'alors.
"20 ans après le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat, alors que notre appréhension des mécaniques mortifères de la violence au sein des couples a bien évolué, que reste-t-il de ce féminicide et de son récit médiatique ?", s'interroge le journaliste Thomas Rozec à travers cette enquête.
Une écoute à retrouver ici, et nécessaire afin de mieux comprendre pourquoi cette tragédie en dit long sur ce que nous vivons et observons encore aujourd'hui, malgré #MeToo, la libération de la parole, et l'évolution des médias.
La simple appellation de "crime passionnel", abondamment employée à l'époque afin de désigner le sort d'une femme tabassée à mort par son compagnon, a déjà du vous faire grincer des dents.
Oui oui, "crime passionnel". E que s'apelerio, "féminicide". Lorsqu'une femme est tuée parce qu'elle est une femme. Pourquoi est-ce si dur à dire ?
Au début des années 2000, les déclinaisons abondaient pour euphémiser au possible ce drame : "crime passionnel" donc mais aussi "crime d'amour", et formulations diverses : "il l'aimait tant qu'il l'a tuée". Romantiser une attitude masculine violente, une emprise ou carrément un féminicide, bien des films l'ont déjà fait par le passé, et le feront encore ensuite hélas : mais ça fait d'autant plus mal quand cela s'observe dans la réalité brute.
Revenir sur la médiatisation "compliquée" (merci d'ajouter mille guillemets) du féminicide de Marie Trintignant, c'est ce qu'ont notamment fait trois autrices ces dernières années : l'essayiste Mona Chollet, dans Réinventer l'amour, la journaliste Rose Lamy, dans son très complet et minutieux Préparez-vous pour la bagarre : défaire le discours sexiste dans les médias, et la journaliste Laurène Daycard, dans sa glaçante enquête Nos absentes.
Ces deux dernières participent d'ailleurs à ce podcast. Laurène Daycard rappelle ces mots imprimés dans "Libé" à l'époque du meurtre de Marie Trintignant : "Bertrand Cantat ne cherchait pas la mise à mort. Il cherchait à se faire aimer davantage". No comment. L'autrice a pu observer à l'époque dans la presse "un traitement qui faisait preuve d'énormément d'empathie pour le meurtrier, et presque d'une mécanique de déshumanisation dans la victime".
Coup de rétro édifiant : le rappel de cette tribune de l'écrivain Jacques Lanzmann, qui va parler de "mots qui castrent, de mots qui tuent", de "mots qui font plus mal que les coups", qui sont "des éclats d'obus jetés à la gueule de l'autre", ou encore d'un "coup de sang" de la part du chanteur. Conclusion : "Certes, la tendresse passe par les mains, pas par les poings". Au secours.
Alors qu'intellectuels, romanciers et journalistes euphémisent ou romantisent la chose sous couvert de "passion", d'autres considèrent ça comme un "sujet people" ou "un truc de bonnes femmes"... Tout simplement.
Pour Thomas Rozec, cette affaire en dit également long sur "les mécaniques mortifères déployées au sein du couple". Un vaste sujet décrypté en compagnie d'autres noms du journalisme engagé, comme Nadia Daam. Ce podcast alerte issu de la collection "Programme B" est en plusieurs épisodes.
On s'impatiente d'écouter la suite.