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Georgiana Viou, jurée de MasterChef : "Il faut donner de la place aux femmes cheffes"
Publié le 30 août 2022 à 14:54
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Georgiana Viou fait partie des bonnes surprises de la nouvelle édition de "MasterChef" sur France 2. La cheffe, ancienne candidate de l'émission, revient sur ses inspirations héritées de son Bénin natal et sur son refus d'être cloisonnée.
Georgiana Viou, jurée de MasterChef : "Il faut donner de la place aux femmes cheffes"
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La rentrée télé 2022 est marquée par le grand retour d'une émission culinaire reléguée au placard depuis 2015 : MasterChef. Ressuscitée par France 2 tous les mardis à 21h10, le concours de cuisinier·es amateur.rices a (agréablement) surpris dès son premier épisode par son dynamisme, son casting paritaire et inclusif, sa sensibilisation aux enjeux environnementaux comme l'anti-gaspi. Mais aussi par la bienveillance de son jury, prodiguant conseils et encouragement aux candidat·e·s tremblotant·e·s.

Georgiana Viou fait partie de ces joyeux mentors, aux côtés de Yves Camdeborde et Thierry Marx. Ancienne candidate du programme il y a douze ans, la voici passée de l'autre côté. Une belle consécration pour cette cheffe créative originaire du Bénin et amoureuse de la gastronomie française. Nous avons papoté (par téléphone) avec cette nouvelle venue pour l'interroger sur son parcours, ses inspirations et ses engagements.


Terrafemina : La cuisine pour vous, cela a été une évidence ?

Georgiana Viou : Mon rêve, à la base, c'était d'être interprète de conférence. Je n ai pas pu aller au bout de mon cursus : je venais d'arriver en France, j'avais un bébé, c'était compliqué. Je me suis alors lancée dans la cuisine car j'ai toujours faire un métier qui me passionnait. Et la cuisine était ma deuxième passion après les langues.

Vous êtes née au Bénin. Qu'est-ce qui vous a le plus manqué en arrivant en France ?

G.V. : Les produits avec lesquels j'ai grandi et une cuisine que je ne retrouvais pas en France. Mais j'ai évidemment adoré la cuisine française qui est si diverse, variée en fonction des régions et ses fromages. J'ai immédiatement adhéré à cette culture du jus, des sauces, le fait que l'on puisse retrouver des plats rustiques et des plats plus raffinés.

Comment définiriez-vous la cuisine béninoise ?

G.V. : C'est l'une des cuisines les plus abouties d'Afrique de l'Ouest. Elle est très riche et saine, avec des produits comme le souchet (plante herbacée vivace à tubercules), le gari (farine de manioc), une grande variété de viandes et de poissons, beaucoup de fruits et de légumes...

J'en utilise des produits typiques pour condimenter ma cuisine actuelle concoctée dans mon restaurant à Nîmes, Rouge. Comme le gombo, l'huile de palme artisanale, des graines de néré fermentées. J'en reprends aussi plein de techniques comme la fermentation, le séchage, la conservation dans le sel.

La cheffe Georgiana Viou ici dans son restaurant Rouge a Nîmes © Abaca
Vous vous êtes lancée dans la cuisine plutôt tardivement, à 33 ans. Avez-vous ressenti une forme d'âgisme en faisant vos classes ?

G.V. : Non, je n'ai pas ressenti cette discrimination. A l'époque déjà, il y avait cette tendance à la reconversion. Et puis 33 ans, ce n'est pas vieux, même si c'est en effet plus tardif que la moyenne en cuisine.

Le milieu de la cuisine est un milieu encore très masculin. Etre une femme, noire de surcroît, a-t-il été compliqué ?

G.V. : On a pu me le faire ressentir mais ça a toujours été insidieux. Des réflexions du genre : "Tu ne connais pas cet ustensile, parce que tu viens de là-bas". C'était idiot car cela venait souvent de petits jeunes lors d'événements. Le fait d'être plus mâture m'a aidée à ne pas y prêter attention. Et puis on assumait aussi le fait que je faisais une cuisine "piquante" parce que je suis noire.

Heureusement, j'ai bien choisi les maisons dans lesquelles j'ai travaillé, j'ai toujours été bien accueillie. Mais j'ai des copines qui ont vraiment souffert de ça, je ne suis pas dans le déni.

Vous refusez d'être "compartimentée". "Je n'ai pas envie d'être retenue par un guide parce que je coche certaines cases", aviez-vous confié au Monde.

G.V. : On m'a déjà dit que j'étais "à la mode" parce que je suis une femme noire. C'est tout bonnement ridicule. Ce que l'on entreprend au restaurant, on le fait pour les clients et pour grandir personnellement. Et je suis la première ravie quand des guides s'attardent sur mon travail, comme le Gault & Millau ou le Michelin qui m'a intégrée à ses coups de coeur. Ces guides ne mentionnent pas que je suis une femme et que je suis noire, mais ce qu'il y a dans l'assiette.

La cheffe Georgiana Viou, membre du jury MasterChef sur France 2 © FranceTV
Vous ne vous envisagez pas comme une modèle ?

G.V. : Je veux pas être un porte-drapeau. Disons que j'avais une route toute tracée et je l'ai quittée. A force de travail, de persévérance, on peut y arriver. Tout ce que la société nous renvoie comme des obstacles, du style "Tu es une femme", "Tu es noire", "Tu es grosse", "Tu as six enfants" et j'en passe, il faut tenter de le transcender de manière à ce que cela ne nous empêche pas d'avancer. Est-ce que je me définis par ce que je suis ou par ce que je fais ? Non. C'est ce que je vais faire qui va définir qui je suis.

Votre grand-mère et votre mère ont été vos mentoresses. Quels gestes et philosophie vous ont-elles transmis ?

G.V. : Ma grand-mère est née dans une famille plutôt modeste, veuve très jeune avec huit enfants à charge. Mais loin de se décourager, elle a monté des petits commerces. Elle ne s'est jamais remariée et s'est donné les moyens à la force de sa tête et de ses bras. Voilà ce qu'elle m'a transmis : on peut toujours rebondir.

Ma mère, elle, m'a appris les gestes de cuisine et le goût des choses : elle avait ouvert un maki, un petit restaurant populaire, lorsque j'étais au collège. J'y passais souvent et j'ai appris à ses côtés, sans balance et sans livre de cuisine.

Vous êtes passée de l'autre côté, de candidate à jurée. Les candidat·e·s vous ont-ils/elles impressionnée ?

G.V. : Oui, par leur courage et par leur créativité. Parfois, je me disais : "Mais où est-ce qu'ils vont chercher ça ? ".

MasterChef se distingue par son casting de départ paritaire.

G.V. : Oui, et je crois qu'ils ne l'ont pourtant pas fait exprès, ce que je trouve génial. Et vous verrez qu'au fur et à mesure de l'émission, il arrive un moment où l'on a plus d'hommes que de femmes et que l'équilibre se récrée naturellement à deux filles-deux garçons. Et ce n'était pas de la triche puisque c'était une épreuve à l'aveugle ! (rires)

Cette nouvelle édition de MasterChef prend soin de mettre en avant une démarche zéro déchet et la cuisine végétale. Vous-même, adoptez-vous cette démarche éco-responsable ?

G.V. : Cela a toujours été ma philosophie. Et c'est l'une des raisons qui m'a aussi poussée à participer à l'émission, car ce sont des valeurs qui me sont chères. Ma cuisine zéro gaspi a toujours fait partie de mon ADN, comme me l'avaient appris ma grand-mère et ma mère qui ne jetaient rien. J'ai toujours utilisé un produit de A à Z.

Je ne suis pas végétarienne ou vegan, mais je prône le fait de manger de la viande et du poisson de façon raisonnable. Notre problème, c'est que l'on a été dans le "trop", il faut que cela cesse. Le végétal a toujours été au centre de mes assiettes.

Que faudrait-il faire pour booster la représentation des femmes en cuisine ?

G.V. : Donner de la place et la parole aux femmes et arrêter de les stigmatiser comme une minorité. Il faudrait arriver à un moment où l'on ne soit pas obligée de se justifier parce qu'on est une femme cheffe.

Auriez-vous une recette facile à nous conseiller ?

G.V. : Vous prenez une plancha ou une poêle bien chaude, vous choisissez une tomate coeur de boeuf bien charnue, tranchée dans la largeur. Vous obtenez une sorte de steak de tomate. Sur un filet d'huile d'olive versé dans la poêle, vous posez vos steaks de tomates dessus pendant 30 secondes. Vus obtenez alors une petite coloration. Vous reversez un filet d'huile d'olive, un peu de fleur de sel, éventuellement quelques copeaux de parmesan.

C'est délicieux ! On a ce petit goût de tomates farcies au four. J'aime les choses simples, le contraste chaud-froid dans les préparations.

Vous pouvez faire la même chose cet automne avec des courges en les coupant en quartiers et en les faisant cuire dans un four à 180° pendant 30 minutes. C'est succulent avec une sauce au fromage blanc.

Mots clés
television Cuisine et gastronomie News essentielles interview femmes
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