Elles ne veulent plus se taire. Et elles sortent le haut-parleur pour faire entendre leurs voix. Dans une tribune publiée dans Télérama, 690 professionnelles du secteur musical appellent à un changement des mentalités dans un milieu particulièrement imprégné par le sexisme. Le collectif, baptisé le F.E.M.M (Femmes Engagées des Métiers de la Musique), rassemble "artistes, musiciennes, techniciennes, productrices, éditrices, compositrices, manageuses, attachées de presse, juristes", fermement déterminées à faire changer le refrain macho.
Dans ce manifeste incisif et puissant, elles écrivent avoir "toutes été victimes ou témoins du sexisme qui règne au quotidien : les propos misogynes, les comportements déplacés récurrents, les agressions sexuelles qui atteignent en toute impunité la dignité des femmes."
"Nous connaissons le fonctionnement – ou plutôt le dysfonctionnement – du secteur : les disparités salariales, l'invisibilité des femmes aux postes à responsabilité, les préjugés et les non-dits qui bloquent le développement et les carrières de professionnelles pourtant compétentes et investies."
Parmi les artistes qui ont accolé leur signature à cette tribune, Jeanne Added, sacrée artiste féminine de l'année aux Victoires de la musique 2019. Celle qui a également reçu la Victoire de l'"album rock" pour son éblouissant Radiate, nous confiait récemment : "Le sexisme, même si je sais qu'il existe et que c'est un milieu extrêmement réactionnaire par rapport à d'autres, je m'en protège beaucoup. J'ai quand même repris des codes masculins, j'ai tout fait pour faire partie du "club"."
Une cuirasse donc, pour encaisser "les agissements sexistes, racistes, et plus globalement tous les comportements discriminants" que dénoncent les membres du F.E.M.M.
Autre signataire de la tribune, Clara Luciani, sacrée artiste révélation scène de l'année aux Victoires 2019 et elle aussi affligée par les comportements sexistes. "Je me suis souvent sentie sous-estimée. Par exemple, je me rappelle d'un des premiers concerts que j'ai fait avec La Femme, je monte sur scène, j'avais mis une petite jupe et le mec devant dit : 'Celle-là, ils l'ont pas choisie pour sa voix'. Je n'avais même pas encore eu le temps de chanter", confiait-elle dans son interview "girl power".
Ces regards lourds, ces paroles déplacées lui ont d'ailleurs inspiré l'hymne féministe de l'été 2018, La Grenade.
"Je l'ai écrite après mes mauvaises expériences en tant que femme musicienne, les bêtises que j'aie pu entendre. Et puis aussi une forme de galanterie excessive qui m'excédait un peu, le fait que dès que j'arrive dans une salle, on se précipite vers moi pour me montrer comment fonctionne un ampli ou comment brancher mes pédales alors que je fais ça depuis trois ans maintenant..."
Une expérience partagée par sa copine Pomme, elle aussi signataire, qui nous faisait part de son exaspération face aux zikos machos :
"Je pense que, dans la musique, la femme est considérée comme un éternel enfant. Et ça commence à me rendre folle. Même sans s'en rendre compte, très souvent, les gens s'adressent à moi comme si je ne savais rien, comme si je ne savais pas brancher mes trucs sur scène, écrire des chansons, être autonome. Ça, je trouve cela assez insupportable."
Inspirées par le collectif 50/50 pour 2020 qui avait secoué la Croisette avec sa charte en faveur de la parité et la diversité dans les festivals de cinéma, les Femmes Engagées des Métiers de la Musique appellent à "questionner la répartition du pouvoir, dépasser le seul sujet du harcèlement et des violences sexuelles pour définir, ensemble, les mesures concrètes et nécessaires qui nous permettront de garantir l'égalité et la diversité dans nos métiers, et ainsi favoriser en profondeur le renouvellement de la création".
"Nous sommes magnifiques et nous ne nous laisserons plus faire !", concluent-elles.
Un voeu pieux ? Alors que le milieu du cinéma français reste encore (trop) timoré lorsqu'il s'agit de s'emparer du fléau des violences sexistes et sexuelles, la parole semble se libérer chez leurs consoeurs de l'industrie musicale. Il y a quelques mois par exemple, le site Paye ta note faisait son apparition. Objectif : recenser ces petites phrases misogynes balancées avec désinvolture au détour d'une conversation et ainsi dénoncer le sexisme ordinaire qui irrigue le milieu.
Le secteur se mettra-t-il au diapason pour enfin produire cette "révolution égalitaire" que les F.E.M.M réclament ?