C'est l'histoire d'une jeune femme qui s'ennuie à mourir dans son taf plan plan, au sein d'une bourgade américaine aux faux airs de ville fantôme. Tous les jours, elle rêvasse pour mieux s'évader. Mais si l'arrivée d'un nouveau collègue allait bousculer cette moribonde monotonie ?
Cela, c'est le pitch somme toute ordinaire - en apparence - de notre plus épatante séance du mois : La vie rêvée de Miss Fran. Titre français légèrement trompeur, tout comme les affiches rose bonbon qui constituent sa promo chez nous : rien de super girly ou de trop pop dans cet étonnant métrage d'une vertigineuse mélancolie !
Non, pas de gloss et de Barbie-core ici mais une sensibilité extrême, au service d'un portrait de femme tragicomique qui saisit avec une empathie totale les fêlures de son héroïne, la Fran en question. Celle-ci, c'est la britannique Daisy Ridley, que vous connaissez pour son implication dans la troisième trilogie Star Wars (la plus récente) et qui, enfin sortie des blockbusters, trouve un second souffle artistique en redoublant de pudeur et d'épure.
Elle est à l'image du film qu'elle porte sur ses épaules : attachante et décalée à souhait. C'est par ailleurs une femme cinéaste, Rachel Lambert, qui capte son jeu et nous emporte tranquillement mais sûrement sur des territoires cinématographiques très étonnants. On vous explique pourquoi...
A vous l'énoncer ainsi, vous vous dites sûrement à propos de La vie rêvée de Miss Fran : c'est une comédie romantique sur deux solitaires qui se rencontrent au milieu de nulle part, et vont apprendre à s'aimer. Faux. Disons plutôt que ce joli ovni au titre original bien plus parlant ("Sometimes I Think About Dying" : "Parfois je rêve de mourir") parle avant tout d'une jeune femme dépressive, dont les songes sont à la fois poétiques et morbides. Et de la rencontre qui s'immisce dans sa vie et pourrait bien la sauver du naufrage.
Rachel Lambert s'accroche avec subtilité aux affects de cette protagoniste. Par exemple, un certain sens du décadrage - seule une partie d'un visage est saisie, au lieu de son entièreté - traduit le décalage que ressent Fran par rapport à son environnement. L'alternance systématique et troublante entre rêve et réalité témoigne d'un même rapport avec les gens alentours. Ces parenthèses oniriques hypnotisent autant qu'elles dérangent, comme un film de Luis Bunuel ou de David Lynch, cinéastes ouvertement cités par la réalisatrice...
Mais ce film qui réveille quelque peu le cinéma indé américain est également une vraie friandise visuelle. Comme lors de ses plans d'ensemble sur la ville d'Astoria, d'une grande beauté, donnant parfois l'impression de contempler de vrais tableaux - on pense notamment à la mélancolie qui inonde l'oeuvre picturale du grand Edward Hopper. Cela pourrait être déprimant à mourir si le spectacle n'était pas aussi superbe esthétiquement parlant !
L'écriture du film est aussi épurée que l'interprétation de Daisy Ridley : elle n'en dit jamais trop, conserve une certaine distance, un art de l'implicite qui voue toute confiance à l'intelligence émotionnelle du public. A raison. Car on devine ce qui tourmente notre protagoniste, ses blessures d'antan, sa fragilité d'aujourd'hui. A ce titre, ce film loin d'être dépourvu d'humour nous parle frontalement de l'empathie, et de la manière dont l'on peut ramener vers soi, si l'on s'y prend bien, ces personnes qui semblent s'échapper de la vie.
La vie rêvée de Miss Fran est un très bel exemple du "female gaze", une oeuvre exigeante et aboutie sur la condition féminine, et plus globalement sur la mise à mal dans une société démonstrative et compétitive des introvertis, marginalisés, qui n'exigent qu'une oreille, qu'une attention. C'est bouleversant.
La vie rêvée de Miss Fran, de Rachel Lambert. Avec Daisy Ridley, Dave Merheje, Bree Elrod. En salles depuis le 10 janvier 2024.