Peut-on, oui ou non, poster des photos de nos enfants sur les réseaux sociaux ? Vaste débat. Cette question a été récemment remise au goût du jour en Allemagne, où une campagne de fonds intitulée "ErstDenkenDannPosten" ("Réfléchissez avant de poster") sensibilise les parents et les incite à faire preuve de prudence avant de diffuser des photos de leurs rejetons sur la toile. La plupart du temps, cela part d'une bonne intention. Bébé ouvre ses premiers cadeaux coiffé d'un mini-bonnet de Père Noël, pendant que son grand frère essaye sa trottinette flambant neuve pour la toute première fois... Le tableau est tellement touchant que vous avez envie d'en faire profiter tous vos proches. Alors, ni une, ni deux vous balancez la photo sur Instagram ou sur Facebook (ou bien les deux) et attendez impatiemment les commentaires attendris et enjoués de vos amis.
Présentée ainsi, on peut se dire que cette pratique n'a rien de bien méchante et qu'après tout, elle s'inscrit totalement dans l'air du temps. Sauf que. Comme le rappellent les initiateurs d'ErstDenkenDannPosten, en plus des éventuels prédateurs sexuels auxquels vos photos exposent vos enfants, se pose également la question du droit à l'image. La campagne allemande a d'ailleurs diffusé plusieurs images sur Twitter estampillées du hashtag : "#MeinBildGehörtMir" (en français, "Mon image m'appartient"). L'une d'entre elles montrent des enfants qui cachent leur visage et avec la légende : "Chère Maman, cher Papa. Vous avez bien le droit d'être fiers de moi ! [...] Il y a des photos particulièrement gênantes et mignonnes que vous aimez partager avec vos amis. Mais internet n'est pas un album privé."
En Allemagne, explique Johanna Luyssen, correspondante à Berlin pour Libération qui a repéré la campagne, la notion de droit à l'image et d'auteur est bien plus présente qu'en France. "Je sais aussi qu'ici, prendre une photo d'un plat au restaurant et la diffuser sur Instagram peut être considéré comme une atteinte au droit d'auteur", commente la journaliste. En mars 2016, la gendarmerie nationale française avait cependant tiré la sonnette d'alarme en diffusant des messages de prévention sur Facebook avec pour slogan : "Préservez vos enfants".
Cette initiative faisait suite au succès du "Motherhood Challenge", un défi lancé sur Facebook qui consistait à publier 3 photos de son enfant sur le réseau social, puis à "taguer" dix amis pour les inciter à les imiter. Les ordres françaises ont rappelé aux parents qu'en plus des risques d'exposer son enfant à un large public sur la toile -dont des prédateurs sexuels- celui-ci pouvait également faire l'objet de moqueries de la part de ses petits camarades de classe. Sans oublier que certaines de ces photos peuvent ne jamais disparaître vraiment de la toile. Un risque d'autant plus important lorsque vos photos Facebook sont "publiques" - car facilement retrouvables sur Google Images.
Bien sûr, la pratique n'est pas interdite. Mais si vous souhaitez partager vos photos de famille avec vos proches, il convient de prendre quelques précautions au préalable. Il est très important de bien paramétrer son compte en mode "privé" ou de partager ces clichés via des messages privés afin d'en limiter au maximum l'accès, d'éviter de "tagger" les personnes qui apparaissent sur les photos et de ne mentionner aucune information personnelle dans le post (nom de l'école de l'enfant, adresse etc), préconise la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Pour rappel, l'article 226-1 du code pénal français prévoit que toute personne ayant diffusé ou publié des images d'un tiers sans son consentement encourt une peine d'un an de prison ou une amende de 45 000 euros. Au vu de la loi, les parents qui diffusent des photos de leur enfant ne sont pas donc pas à l'abri de se voir poursuivre en justice dans quelques années par leur progéniture. Un scénario inévitable selon Eric Delcroix, spécialiste des réseaux sociaux et de l'identité numérique interrogé par Le Monde : "Certains enfants attaqueront leurs parents sur le Web dans une dizaine d'années. C'est certain. Là, il est trop tôt pour que cela arrive car les réseaux sociaux ne sont pas assez vieux. Les parents ont du mal à percevoir le côté négatif de leurs actes."