"J'ai travaillé pour Jacquie et Michel en 2012. Le caméraman (...), en marge d'un salon, a servi de l'alcool, et une fois que tout le monde était un peu éméché, a allumé la caméra. En plein milieu de cette scène, le réalisateur a réalisé un acte sexuel sur moi".
Dans une interview pour BFMTV parue ce mardi 14 juin, l'actrice et réalisatrice X Nikita Bellucci a raconté sa propre expérience au sein de la plateforme de porno amateur en pleine tourmente. Après l'arrestation de cinq personnes pour "viols" et "proxénétisme", dont le propriétaire du site Michel Piron, elle a condamné un modèle de production à bas prix ayant recours à "des petits réalisateurs" qui sont "tout simplement des prédateurs".
Aujourd'hui, après 12 ans de carrière dans l'industrie du X, la jeune femme s'est engagée dans la création d'un porno éthique. Un espace de travail sécurisant pour tou·te·s dont elle nous explique les principes. Et puis, Nikita Bellucci insiste également sur les législations et le cadre qu'il faut urgemment mettre en place pour protéger les travailleur·euses du sexe, trop souvent victimes d'une stigmatisation dévastatrice. Entretien.
Nikita Bellucci : Plus ou moins. Dans le sens où nous n'avons pas toujours les preuves, mais c'est quelque chose qui était connu, c'est sûr. Ça parle beaucoup dans le milieu, même si je ne connais pas les autres filles, et les faits relatés ne sont pas que des rumeurs.
N. B. : Je n'en ai pas connaissance. Après, je ne fréquente plus du tout les personnes de ce milieu-là. Je connais seulement les affaires qui concernent Pascal OP (producteur de "French Bukkake" mis en examen en octobre dernier pour "proxénétisme" et "traite d'êtres humains" aggravés, ndlr) et Jacquie et Michel.
Au sujet de Pascal OP, je ne savais pas que les faits allaient aussi loin, je suis tombée des nues. Je l'avais déjà dénoncé sur les conditions sanitaires de ses tournages : il organisait des "bukkake" (acte sexuel dans lequel un·e participant·e se fait éjaculer dessus par deux ou plusieurs autres participants, ndlr) avec 150 hommes auxquels il demandait seulement un test du VIH, ce qui est très dangereux. Parfois, certains tests étaient falsifiés. A la suite de ça, j'ai reçu des menaces, des pressions. [Pascal OP] avait racheté une scène qu'il a diffusée sur son site en modifiant ma voix en prétextant que j'avais tourné pour lui, alors que j'étais en exclusivité pour une autre plateforme.
Depuis que Michel [Piron] est en garde à vue depuis ce 14 juin, et comme je me suis bien exprimée sur les réseaux sociaux, des menaces ont de nouveau été proférées à mon encontre. Ça ne dit pas "Je vais te tuer", ce n'est pas explicite, mais on comprend entre les lignes. Ça parlait de ma famille aussi.
Les gens qui travaillent pour Jacquie et Michel ont appelé tous·tes les acteurs et actrices qui y travaillent pour qu'ils tweetent en leur faveur, disent qu'ils n'avaient jamais eu de problème. C'est de l'intimidation totale, et maintenant, si une gamine voulait éventuellement s'exprimer sur un acte dont elle aurait été victime, c'est sûr qu'il ne va rien se passer.
N. B. : Parce qu'il n'y a pas de cadre. Il y a zéro cadre, zéro protection. Le porno ne ressemble pas qu'à ça, heureusement. Mais vu qu'il n'y a ni cadre, ni règle dans le porno amateur, on se permet un peu de tout faire. Par ailleurs, si une jeune femme veut porter plainte, elle n'ira pas au commissariat car elle ne sera pas prise au sérieux. Les policiers vont rigoler. Il y a la notion de culpabilité aussi, les réflexions du type : "Tu travailles dans le porno, à quoi tu t'attendais ?"
N. B. : En 12 ans de porno, la seule expérience que j'ai eue est celle que j'ai déjà racontée dans les médias. Après, je ne peux pas me prononcer à la place des filles, mais c'est effectivement des choses dont j'ai déjà entendues parler.
N. B. : Le porno éthique, c'est justement avoir un cadre, respecter le droit du travail, prendre soin des gens avec qui on travaille, que ce soit acteurs/actrices ou les équipes techniques, les informer. En réalité, ce sont des tournages qui devraient être normaux. Faire attention aussi à comment l'acteur ou l'actrice va être mis·e en valeur. On ne verra jamais sur une jaquette de porno éthique "Grosse pute se fait déglinguer par 4 Noirs". C'est des titres qu'on a déjà vu ailleurs et bon, je pense qu'on peut se masturber sur des choses trash et quand même le mettre en avant de manière un peu plus jolie (sourire).
N. B. : Il faut créer des lois, des associations, une convention collective. Réglementer l'industrie du sexe. Je sais que les abolitionnistes aimeraient interdire le porno, mais ce serait la pire des choses à faire. Si on l'interdit, les dérives seront d'une gravité qu'on ne soupçonne même pas. Ce que feront les producteurs, c'est par exemple d'aller tourner avec des petites nouvelles françaises à Prague, ni vu ni connu. Et là pour porter plainte, il faudra s'accrocher.
N. B. : Oui, je le pense. Ne serait-ce qu'en regardant les commentaires sous les articles de presse qui relaient les témoignages de victimes [de violences sexuelles dans le porno], les internautes rigolent, se moquent. Quand on voit tout ça, on remarque bien qu'il y a zéro considération pour les travailleur·euses du sexe.
N. B. : La parole est difficilement libre. Les filles qui parlent sont des gros noms, elles sont installées dans l'industrie depuis longtemps, et craignent donc moins les répercussions de leur témoignage. Les menaces sur la carrière, notamment, mais aussi sur la famille. Quand on débute, ce n'est pas la même chose.