Tout est parti d'un coup de foudre. D'un regard dans une soirée bondée qui a marqué le début d'une histoire d'amour comme on les rêve souvent. Marketa et Clovis se sont vus, se sont reconnus, se sont aimés instantanément. Lui, papa de deux petites filles, elle, jeune femme désireuse de fonder une famille, ils ont rapidement conçu un bébé. La grossesse se déroule sans fracas, comme "sur un nuage". Et puis, vient l'accouchement.
Les contractions de Braxton Hicks d'abord (aussi appelées "fausses contractions"), qui induisent en erreur quant à l'arrivée prochaine du nourrisson. La naissance ensuite, quelques semaines plus tard, douloureuse, difficile, traumatisante. Les premiers jours avec ce petit être installent un décalage entre les parents. Clovis a l'avantage de l'expérience, Marketa redoute d'être seule à s'en occuper. Pour elle, sa fille, Zoé, est comme une étrangère, elle ne se retrouve pas dans la tonne de clichés qu'on véhicule sur la maternité. Pas d'instinct, pas d'évidence.
Elle pense : "Je veux la rendre". Se questionne : "Pourrais-je l'aimer un jour ?" Affirme : "Elle m'a volé mon corps, ma santé mentale, mon identité. Je regrette de l'avoir voulue".
Un soir qu'elle la nourrit dans le fauteuil à côté de son berceau, elle imagine avec envie qu'une "remplaçante" prenne le relai. Une version parfaite d'elle-même qui ne rencontrerait aucun problème. Une "wondermum" qui "saurait faire". Elle se sent désemparée, et ce sentiment se prolonge une fois sortie de l'hôpital. Elle "n'y arrive pas", jusqu'à parfois espérer que tout s'arrête.
Au fil de ces planches qu'on ne lâche pas tant elles sont émouvantes, douces, franches, Sophie Adriansen, l'autrice, et Mathou, l'illustratrice, racontent ce que l'on a trop tendance à cacher, à taire. Marketa souffre de dépression post-partum. Une pathologie qui pèse sur les épaules de 10 à 15 % des mères, estime Santé publique France. Parmi elles, l'autrice.
"J'ai eu une dépression post-partum pendant près de trois ans après la naissance de mon premier enfant", confie-t-elle au HuffPost. "J'avais donc imaginé une remplaçante qui ferait les choses mieux que moi, qui serait une meilleure mère et épouse. C'était une mécanique de dissociation". Et un sujet qu'il est essentiel de ne plus silencier.
On suit la protagoniste lorsque celle-ci tente de se reconnecter avec son corps, avec sa sexualité, on lit les pressions de la société, de l'entourage. Le besoin de validation, le sentiment d'être prise au piège, d'être seule dans cette situation, seule à ne pas réussir. La culpabilisation. Et puis, doucement, on découvre le temps qui fait son oeuvre : Marketa sort la tête de l'eau.
Là où La Remplaçante (ed. First) nous touche profondément, c'est dans la façon dont ses créatrices ont su mettre des mots et des images sur des moments pourtant difficiles à décrire. Quand on parcourt ses pages, on retrouve des émotions précises, des instants clés qui ont forgé notre propre vécu. On se souvient de ces innombrables questions, de ces doutes au moment du retour à la maison.
On se dit, aussi, que le documenter ainsi permet d'avertir celles qui pourraient y être sujettes, comme leurs proches, mais aussi de se défaire d'un tabou nocif. En instaurant Marketa comme un modèle de mère, Sophie Adriansen et Mathou contribuent à décomplexer des milliers de femmes de ne "pas y arriver". Et encourage à ne pas se presser, à se cajoler, à se livrer et à s'entourer. "Chacune a son propre rythme, chacune a un corps différent et c'est ok", lance l'autrice au média.
Un ouvrage authentique, donc, et surtout, nécessaire.
La Remplaçante (ed. First), de Sophie Adriansen et Mathou, 152 p. 19,95 euros