Les médecins auraient-ils du mal à prendre en compte la douleur des femmes ? Alors que plusieurs cas médicaux illustrent la manière cavalière dont les médecins ont tendance à traiter les patientes se plaignant de douleurs parfois graves, les langues se délient.
Au départ, une étude publiée par la Sécurité sociale anglaise et relayée par le site du Telegraph , qui rapporte plusieurs cas de négligence de la part de médecins. On y apprend qu'une femme a dû supporter une forte douleur au visage pendant près de quinze ans avant qu'on ne lui fasse un scanner et qu'on ne découvre qu'elle devait être opérée. Ou qu'une jeune femme de 17 ans a dû se battre pour qu'on prenne au sérieux ses douleurs abdominales, qui étaient en fait les premiers symptômes d'un cancer du col de l'utérus.
Prenant pour point de départ ces deux cas extrêmes, la journaliste du Telegraph Radhika Sanghani est partie en quête de témoignages de femmes ayant également été victimes de négligences de la part de leurs médecins alors qu'elles se plaignaient de douleurs. On y apprend ainsi qu'il est très commun pour des médecins de diagnostiquer des douleurs menstruelles quand des femmes viennent les consulter pour une affection, quelle qu'elle soit. Et de les renvoyer chez elles avec une simple ordonnance pour des anti-douleurs assortie de la sempiternelle recommandation sur les effets bénéfiques des bouillottes remplies d'eau chaude...
A ces récits s'ajoute le témoignage frappant d'un journaliste américain paru sur le site The Atlantic il y a quelques jours. Il y raconte par le menu comment sa femme, qui souffrait de fortes douleurs dans le bas-ventre, a dû attendre un nombre d'heures incalculables aux urgences avant d'être prise en charge correctement. La premier médecin qui l'avait auscultée avait diagnostiqué des calculs rénaux, alors qu'elle souffrait en fait d'une affection rare appelée torsion des ovaires et réputée pour être extrêmement douloureuse...
Ces différents cas ne laissent d'interroger : les médecins seraient-ils coupables de préjugés sexistes quand il s'agit de traiter les femmes ? Ou, autrement dit, ces dernières seraient-elles victimes du bon vieux stéréotype les assimilant à des créatures "hystériques" et faisant de tout un drame ?
Plusieurs études scientifiques ont démontré que les médecins ont bel et bien des préjugés quand il est question de douleur. En 2001, une étude publiée par l'Université du Maryland et baptisée "The Girl who cried pain", soit, en français "La fille qui criait 'j'ai mal'", référence manifeste à la fable du garçon qui criait au loup, révélait que les femmes étaient très souvent moins prises au sérieux que les hommes quand elles expriment des douleurs physiques.
"Il y a des préjugés sexistes en ce qui concerne les expériences de douleur des femmes", concluent les auteurs de cette étude. "Ces préjugés ont conduit le personnel soignant à balayer les témoignages faits par les femmes au sujet de leur souffrance, du moins jusqu'à ce qu'ils aient la preuve objective de l'origine de leur douleur. Le fait que la médecine mette l'accent sur les facteurs objectifs et les stéréotypes qui circulent sur les femmes se combinent de manière insidieuse et font courir aux femmes le risque de ne pas être correctement prises en charge et de continuer à souffrir", ajoutent-ils.
Cette étude publiée en 2001 mentionne une précédente enquête datant de 1990, qui révélait également une différence de traitement flagrante entre les hommes et les femmes. On y apprend ainsi qu'un homme se plaignant de douleur abdominale doit patienter 49 minutes en moyenne pour recevoir un traitement, et une femme 65 minutes.
Il faut évidemment voir dans ce traitement inégalitaire de la douleur les ravages de siècles de sexisme. De fait, si l'hystérie a fini, bien heureusement, par disparaître des manuels de médecine, le soupçon d'hystérie est lui, encore vivace, et les femmes encore victimes des représentations les assimilant à des petits êtres fragiles se plaignant au moindre petit désagrément physique, ou étant plus enclines à l'hypochondrie.
Heureusement, des initiatives de tout ordre naissent pour briser les nombreux clichés misogynes au sujet des femmes et de leur rapport à la douleur et permettre aux femmes de faire entendre leur ressenti et de parler elles-mêmes de leur corps après des siècles d'oppression. Citons comme exemple ces jeunes femmes qui osent parler de leurs douleurs menstruelles, quand elles ne revendiquent pas tout bonnement le fait d'avoir leurs règles. Les hommes ne sont pas pas non plus en reste : il y a quelques mois, un groupe d'Anglais décidaient de se mettre dans la peau d'une femme enceinte en se collant des faux ventres, et d'autres se sont portés volontaires pour expérimenter les douleurs de l'accouchement.
Quand au comportement misogyne des médecins, il est de plus en plus fréquemment dénoncé. Il suffit pour s'en assurer de voir l'effet du reportage récent de France Culture sur les violences gynécologiques, après les polémiques récentes sur les touchers vaginaux sur les patientes endormies et les remarques sexistes des médecins.