Le 25 mai, alors que la tragédie de George Floyd donne une nouvelle visibilité au mouvement Black Lives Matter, cinq danseur·se·s de l'Opéra de Paris décident de se réunir pour discuter de la manière dont le racisme systémique les touche, eux·elles aussi. "Nous avions envie d'échanger sur la manière dont cela nous affectait, sur nos origines aussi et ce qu'elles représentaient pour nous", raconte au Monde le danseur Guillaume Diop, 20 ans, co-auteur du manifeste. "Ça se passe très bien à l'Opéra, mais il nous semblait que des ajustements étaient possibles et que nous devions prendre la parole en tant qu'artistes racisés sur ce que nous vivons."
De cette conversation ressort un manifeste intitulé De la question raciale à l'Opéra de Paris. On peut y lire les mots suivants : "L'Opéra comporte désormais dans ses rangs artistiques, techniques et administratifs des personnes de couleur. Néanmoins, les stigmates de la discrimination raciale sont encore présents dans la société française du XXIe siècle. L'Opéra de Paris, noble institution que nous servons avec passion, n'échappe pas à la règle : des pratiques problématiques persistent, certains discours discriminatoires pourraient être combattus avec davantage d'efficacité et nos puissances artistiques manquent encore de diversité. A travers le présent manifeste, nous avons souhaité faire sortir la question raciale du silence qui l'entoure au sein de l'Opéra de Paris"
Le texte, rédigé par Guillaume Diop, Letizia Galloni, Jack Gasztowtt, Awa Joannais et Isaac Lopes Gomes, ainsi que Binkady-Emmanuel Hié, de l'AROP (Association pour le rayonnement de l'Opéra de Paris), aborde différentes question, rapporte Le Monde : l'instauration d'une politique anti-discrimination interne efficace, la possibilité de signalement du racisme ordinaire, mais aussi les fléaux que sont le "black face" et le "yellow face", présents, encore aujourd'hui, dans plusieurs opéras et ballets (La Traviata mis en scène par Benoit Jacquot notamment, ou La Bayadère, prochainement à l'affiche de l'Opéra-Bastille). Des sujets auxquels la direction a rapidement répondu.
Le 29 juin, la directrice de la danse Aurélie Dupont recevait les auteur·ice·s du manifeste dans son bureau et le 15 juillet, Alexander Neef, qui dirige l'Opéra national de Paris depuis le 1er septembre, les écoutait par visioconférence depuis Toronto.
"C'est un sujet qui me préoccupe", affirme-t-il au Monde. "A Toronto, nous avons mené cette réflexion et ce travail à la fois sur la représentation des artistes et les nouveaux publics. Dès le début du confinement, nous avons pensé, avec Martin Ajdari (directeur général adjoint de l'Opéra national de Paris, ndlr), à une mission sur la diversité au sein de l'Opéra national de Paris." Mission qu'il a depuis confié à Constance Rivière, secrétaire générale de la Défenseure des droits, et à l'historien Pap Ndiaye, dont les conclusions sont attendues pour le 15 décembre.
Aujourd'hui, 400 salarié·e·s sur les 1895 que compte l'institution ont à leur tour signé le manifeste, et les choses avancent déjà de façon concrète. Du côté des responsables coiffure et maquillage, des rendez-vous ont été organisés pour former au soin des cheveux crépus et des peaux non-blanches. Du côté du rayon costumes, aussi, avec la modification du terme "collant chair" rebaptisé "collant peau". "Les collants achetés seront prochainement plus nuancés", assure-t-on à l'AFP. Ou encore avec la mise en place prochaine de stages tenus par les danseur·se·s à l'origine du manifeste, aidé·e·s d'Aurélie Dupont.
Une façon pour "les enfants racisés" de se dire "en nous voyant que c'est vraiment possible d'intégrer l'Opéra de Paris", explique Guillaume Diop. Car dans le milieu de la danse comme ailleurs, cette représentation et le changement qu'elle implique, sont essentiels.