Isabelle Jonveaux a soutenu fin 2009 une thèse en sociologie à l'EHESS Paris et à l'Université de Trente (Italie) sur l'économie des monastères contemporains en Europe. Elle poursuit actuellement ses recherches à l'université de Graz en Autriche sur les formes modernes de l'ascèse religieuse. Elle a aussi publié plusieurs articles sur l'utilisation de l'Internet par les ordres religieux catholiques et les nouvelles pratiques religieuses en ligne que peut occasionner pour les laïcs ce nouveau média.
Isabelle Jonveaux : Deux croyants sur trois, c’est énorme. En fait, ces croyants tiennent à ce que la religion conserve sa différence, et ne soit pas banalisée, qu’elle garde sa place hors du temps. Ils veulent qu’elle ne rentre pas dans des démarches commerciales ou dans des modes, pour continuer à lui faire confiance et à s’y accrocher.
I.J. : Il s’agit d’une nouvelle génération informatique pour qui il est normal de vivre sa religion par le biais d’Internet. Ces jeunes vivent leur religion de la même manière qu’ils vivent leur vie quotidienne. Pour eux, il est tout à fait naturel de retrouver son aumônerie ou sa communauté religieuse sur internet ou sur Facebook.
I.J. : Si l’on prend l’exemple des sites chrétiens, ceux-ci ne cherchent pas à conquérir un plus grand public. Donc si on n’est pas intéressé à la base, on n’ira pas. Quand le pape Benoît XVI parle d’évangélisation du monde numérique, il s’agit plutôt de d’y être présent, pas d’accrocher les gens. Certes, il existe des initiatives restreintes, comme celle des Bâtisseurs de monastère qui ont réalisé un lipdub très populaire afin de lever des fonds. J’en ai discuté récemment avec des moines qui se sont montrés très critiques. Pour eux, ce type d’initiative ne donne pas une image réelle de la vie monastique (par exemple quand on voit une sœur jouer au foot !), et tendrait plutôt à la dévaloriser. Les communautés traditionnelles s’opposent donc sur ce point aux communautés nouvelles qui veulent jouer sur leur jeunesse et leur modernité. La question est : faut-il être attrayant ou bien rester vrai dans son message ?
I.J. : Ce sont deux choses radicalement différentes. Le fait que l’Eglise utilise Internet n’est pas étonnant. Historiquement elle a toujours cherché à utiliser les moyens de communication donnés par le temps, que ce soient l’imprimerie, le téléphone, la télévision, avec les émissions religieuses du dimanche.
I.J. : Globalement, toutes les religions se posent la question de leur présence sur la Toile et la manière de le faire. Les Protestants sont très à la pointe et multiplient les propositions sur Internet (exemple des églises virtuelles). Cela s’explique par le fait que certains courants protestants ont une attitude plus proche du marketing, que l’on ne retrouve dans d’autres religions. Globalement, les acteurs du monde religieux expliquent que leurs sites sont différents et ne s’inscrivent pas dans une démarche commerciale. Ils essaient de se démarquer, avec par exemple une calligraphie traditionnelle.
I.J. : Certes, Internet déteint sur la religion en créant une façon plus jeune de la vivre. Mais la pratique religieuse sur le Net ne remplacera pas celle traditionnelle, comme aller à l’Eglise, à la Mosquée ou à la Synagogue. Elle permettra en revanche à ceux qui sont éloignés de la religion et qui ont des difficultés à pratiquer (à cause d’un handicap, ou d’un éloignement géographique) de vivre quelque chose de spirituel.
I.J. : Dans toutes les propositions qui existent, il n’y a pas de contrôle. C’est ce qu’en sociologie on appelle le bricolage : les gens construisent une pratique individuelle des religions, ce qui est un problème pour les autorités religieuses. Par exemple, les Dominicains avaient créé un forum de retraite virtuelle avec un modérateur. Mais ils ont été débordés par le nombre de messages en marge de leur volonté institutionnelle et ont dû supprimer le forum. On tombait dans le communautaire pathétique en décalage avec l’idée de retraite.
I.J. : Il est très intéressant de noter que deux tendances coexistent : l’une à l’individualisation des pratiques et l’autre à la recherche très forte de communauté dans le monde religieux en général. Les gens vont donc chercher une dimension communautaire sur iIternet, qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Les forums religieux ont pour cette raison énormément de succès : on y est très libre de dire ce qu’on veut sur la religion, sans discours institutionnel.
I.J. : Internet est un lieu totalement libre où l’on peut tout faire passer. La question est : les internautes sont-ils capable d’avoir un regard critique sur tous les messages qu’ils reçoivent ? Les institutions religieuses sont, elles, bien conscientes de ces dérives. C’est pourquoi il existe des formations pour apprendre à contourner les risques. Par exemple, l’archevêché de Paris dispense des formations aux responsables des pastorales de jeunes sur comment utiliser des réseaux sociaux. On leur apprend les dangers, mais aussi quel message il faut faire passer.
Les résultats du sondage CSA sur Religion et Internet
Le benchmark des pratiques religieuses par l’Institut Treize articles web lab
Observatoire Tf-Orange : Religions et numérique, la tradition à l’épreuve des nouvelles pratiques
Religion et Internet : l’interview de Saïd Branine, directeur de oumma.com
Religion et Internet : l’interview de Delphine Horvilleur, rabbin
Religion et Internet : l’interview de François Nautré, spécialiste NTIC auprès des catholiques