"Envoyer un nude, c'est accepter de prendre le risque de voir cette photo partagée". Voilà le message qu'a décoché le compte Twitter de la Police nationale le 6 mars dernier. De quoi laisser perplexe. Tant et si bien que la publication a déclenché un vaste bad buzz (avant d'être supprimée). Il faut dire que sous son apparence de message de prévention, ce tweet ne fait que culpabiliser d'autant plus les victimes anonymes d'un vaste phénomène : le revenge porn.
Le revenge porn désigne la pratique, illégale, qui consiste à diffuser publiquement, sans consentement, des images à caractère sexuel et privé. En France, la curieusement nommée "revanche pornographique" est sanctionné de deux ans d'emprisonnement et de 6 0000€ d'amende, comme le rappelle la Gendarmerie nationale. D'où l'étrange idée de faire dans le "victim blaming" pur et dur : le fait de pointer du doigt, plutôt que les coupables et agresseurs, l'attitude ou les mots des victimes d'agressions sexuelles, jugés problématiques.
"Il ne faut pas confondre victime et coupable. Envoyer un nude n'est pas un délit. Publier une image sans l'accord de la personne l'est. C'est sur ce point que de la pédagogie et communication serait très utile", rappelle la député européenne Aurore Lalucq sur Twitter.
D'autant plus que le "victim blaming" s'illustre également à travers une image intégrée à ladite publication. "Il a bien reçu ton nude. Tes amis, tes parents, tes camarades de classe, tes cousins, tes professeurs, tes voisins, ton boulanger, ton ex-petit ami, ton facteur, tes grands-parents, ta nièce aussi", développe ainsi le visuel relayé par la Police nationale. L'idée semble être d'interpeller les victimes, plutôt que les coupables.
De quoi susciter l'indignation du collectif féministe Nous Toutes, qui voit là un "gros, gros fail". "Que peuvent ressentir les garçons face à ce type de messages ? Les hommes ne sont pas violents par nature. En grandissant dans une société qui banalise les violences, culpabilise les victimes et associe la masculinité à l'agressivité sexuelle, certains le deviennent. De plus, la culpabilisation des victimes ne fera jamais reculer les violences. Au contraire, elle entretient et renforce les rapports de pouvoir qui en sont la base", développe Nous Toutes.
"Le message qu'on envoie aux filles, c'est l'équation 'Il a bien reçu... tes parents aussi'. Comme si c'était une fin inéluctable. Une norme qui ferait que les hommes agressent et que les femmes doivent très tôt apprendre à en tenir compte et à se protéger. C'est un peu comme le coup des pulsions sexuelles irrépressibles : ce serait aux filles de protéger les garçons de leur 'nature', en évitant de les tenter avec une jupe trop courte ou l'exposition de leur nombril", décrypte encore le collectif initié par Caroline De Haas. Une définition de la culture du viol.
Pour de nombreux·ses internautes, ce genre de publications officielles suggèrent également pourquoi les femmes victimes de violences physiques et sexuelles ou de viol hésitent tant à se rendre dans un commissariat pour porter plainte. "La police nationale faisant porter la responsabilité aux victimes, des actes malveillants-agressions qu'elles peuvent subir : une micro illustration de l'expérience commune des femmes victimes d'agressions qui entrent dans un commissariat", commente un internaute.
Et Nous Toutes de conclure, en cette Journée internationale des droits des femmes : "Ayons des messages clairs pour affirmer la liberté des individu.es à disposer de leur corps et de leur image. Apprenons aux jeunes le consentement, rejetons toutes les formes de blâme des victimes, offrons-leur des représentations saines. Permettons-leur de se projeter dans un avenir où filles et garçons seront libres et ne se conformeront pas à des comportements stéréotypés hérités d'une culture sexiste".
De son côté, la Police nationale aurait reconnu "une maladresse" : "Nous ne portons jamais l'idée que les victimes pourraient être responsables de la situation qu'elles subissent", s'est-elle défendue auprès de FranceInfo.