Yulia Tsvetkova est une militante féministe russe. Sur les réseaux sociaux, elle dirige une page intitulée "Monologues du vagin". Utilisateurs et utilisatrices viennent y partager des représentations artistiques de l'intimité féminine. L'idéal pour briser les tabous. Oui, sauf que la législation de son pays ne l'envisage pas d'une très douce manière. Voyez plutôt : aujourd'hui, l'activiste est accusée de diffuser de la "pornographie criminelle". Et même de la "propagande gay". Rien que ça.
Comme le développe le site d'informations LGBT Pink News, la police estime effectivement que ces dessins dont elle permet et encourage la diffusion "sont de nature pornographique". A travers ces joyeuses esquisses perdure pourtant un discours body positive, présentant le corps féminin avec ses poils, sa cellulite, des rides et autres "imperfections" de peau. Du contenu "obscène" si l'on en croit les autorités compétentes.
Et si Yulia Tsvetkova risque désormais jusqu'à 15 ans d'emprisonnement, c'est parce que la police suppose que des individus mineurs pourraient être mis en contact avec les dessins en question, et donc forcément "pervertis", dans la mesure où la militante officie également pour un théâtre destiné à la jeunesse. "Les officiers m'ont dit que j'étais une lesbienne qui distribuait de la propagande", s'indigne la principale concernée. Sans que des éléments très concrets viennent appuyer cette supposition. C'est d'ailleurs ce qu'explique une pétition mise en ligne sur Change.org pour dénoncer ce jugement : "Cette persécution est de motivation politique".
Une hypothèse appuyée par un fait : ce n'est pas la première fois que les autorités font pression sur la jeune femme de vingt-six ans. En 2019 encore, indique le Moscow Times, le bureau du maire de la ville de Komsomolsk-sur-l'Amour et la police locale avaient déjà provoqué la fermeture d'un festival LGBT militant initié par Yulia Tsvetkova. Pourquoi ? Pour "incitation à la haine envers les hommes et représentation de relations familiales non traditionnelles", nous dit-on. Comprendre, pour contenus féministes.
Malgré tout, Yulia Tsvetkova n'a pas cessé de poursuivre sa lutte. En mars dernier, elle lançait encore sur les réseaux sociaux un nouvel hashtag au nom éloquent : # женщина_не_кукла. Traduction ? "Une femme n'est pas une poupée". Dessins et slogans body positive à l'appui : "Les vraies femmes ont des poils, c'est normal", "Les vraies femmes ont des règles, et c'est normal", pouvait-on lire dans ses publications. Très inspirant.
Mais en Russie, exposer sa militance a tout du parcours de la combattante. En octobre dernier, Janette Akhilgova, membre du groupe de défense des droits des femmes Equality Now, expliquait à quel point la Russie est encore aujourd'hui "un pays très patriarcal et soucieux du corps", où le conservatisme ambiant impose aux femmes "des normes de beauté strictes et une forme de honte corporelle" beaucoup trop normalisée.
Des complexes inscrits au sein même de la société russe donc, auxquels rétorquent déjà plusieurs militantes connectées comme l'adolescente Natalia Zemlianukhina et son mouvement fédérateur #AllIsFineWithMe. Un élan positif. Mais quant à savoir ce qu'il adviendra du cas de Yulia Tsvetkova au tribunal, il faudra pour cela attendre le jour du procès, à savoir le 9 décembre prochain. Affaire à suivre donc.