"Au ministère de la Culture, les entretiens pervers d'un haut fonctionnaire". C'est le titre de cette enquête de Libération, aussi pointilleuse qu'édifiante, et autant vous prévenir : il a tout d'un euphémisme. Près de dix ans durant, nous apprennent les journalistes David Perrotin et Paul Aveline, un ex-responsable des ressources humaines dudit ministère, nommé "Christian N.", aurait administré, durant ces entretiens d'embauches, des diurétiques à ses candidates. Cette substance a pour effet d'exacerber les sécrétions urinaires.
Et c'est justement ce que recherchait cet ancien haut fonctionnaire : que ses victimes, n'en pouvant plus, finissent par uriner sous ses yeux. Le procédé était toujours le même : leur proposer un thé ou un café, s'absenter et glisser une dose de Furosémide (un médicament) dans la boisson offerte. Puis leur suggérer de visiter le quartier histoire de "se familiariser avec le patrimoine". En faisant en sorte, évidemment, de les éloigner le plus possible d'endroits pourvus de toilettes. Un véritable "chemin de croix", dixit les reporters, qui pouvait durer des heures. Avec la fin que l'on sait.
De 2009 à 2018, plus de 200 femmes ont été intoxiquées par l'ancien sous-directeur des politiques de ressources humaines. Ce modus operandi ne s'arrêtait pas là. Christian N. photographiait leurs jambes, en positionnant son téléphone portable sur ses genoux, sous la table. Et consignait les humiliations de ses victimes dans un tableur Excel : le nom de la victime, les effets du diurétique sur celle-ci, l'heure de la prise de médocs. Et même la façon dont la victime a essuyé ses parties intimes. Le nom de ce document ? "Expériences".
"J'ai uriné par terre, quasiment à ses pieds. J'étais humiliée et honteuse", explique Claire, qui, parmi tant d'autres, a subi ce fameux "entretien d'embauche", en 2012. Interrogée elle aussi par les journalistes, Karine évoque l'attitude suspecte de l'employeur, les douleurs au bas-ventre qu'elle a éprouvées et cette envie "fulgurante" d'uriner, qui s'est emparée d'elle sur un pont, aux abords de la Seine. "Je sentais mon ventre gonfler, j'étais au bord du malaise. J'ai baissé mon pantalon et ma culotte, et j'ai uriné". Pendant ce temps, le responsable tenait son manteau et regardait son visage. Il fera mention de toute la scène dans son tableur Excel. En précisant entre autres choses : "Elle s'accroupit et lâche un jet très fort et très long". Une autre de ses victimes, Elise, finira quant à elle hospitalisée durant quatre jours. La raison ? Infection urinaire.
Toutes celles qui sont venues apporter leur témoignage à Libération insistent sur la violence de l'humiliation subie. Comme Anaïs, qui s'est "urinée dessus" dans son bureau, au ministère. Christian N. lui propose alors de retirer son pantalon pour le faire sécher à la fenêtre. Elle raconte : "Je me suis retrouvée en sous-vêtements dans son bureau. Il ne m'a rien proposé pour me couvrir. J'ai attendu une vingtaine de minutes et puis j'ai récupéré mes vêtements et je suis partie. J'avais tellement honte que je n'ai osé en parler à personne". Quand il n'observe pas directement ses victimes, le haut fonctionnaire les écoute uriner, derrière la porte des toilettes. Une perversité sexuelle très ritualisée et qu'il a alimenté, semaine après semaine. Sans conséquences.
"C'était compulsif"
Mais le 15 juin 2018, à la Drac Grand Est où il est en poste depuis plus de deux ans déjà, Christian N. est pris en flagrant délit par un collègue. Il tentait, comme à son habitude, de photographier les jambes d'une femme. Il est immédiatement dénoncé à sa hiérarchie. Cependant, il faudra attendre le mois d'octobre 2018 pour le voir suspendu de la fonction publique. En janvier 2019, une enquête est enfin ouverte au parquet de Paris. Neuf mois plus tard, l'intéressé est mis en examen pour de nombreux motifs, allant de "l'administration de substance nuisible" à "l'agression sexuelle".
La fin d'une impunité qui n'a que trop duré ? Alizée, une ancienne "candidate", l'espère. Au journal, elle explique que de très nombreuses rumeurs couraient depuis des années sur la personne de Christian N., considéré comme un "dragueur" et un "pervers" par son entourage professionnel. Le fait qu'il prenne en photo les jambes des femmes à leur insu était loin d'être ignoré au sein du ministère. "J'aurais voulu qu'on m'arrête avant. C'était compulsif, mais il n'y avait pas chez moi une volonté d'empoisonner ces femmes. Je ne pensais pas que le diurétique pouvait causer des problèmes médicaux", explique-t-il aujourd'hui à Libération. Ou comment minimiser les faits...
Chose édifiante parmi d'autres : de 2013 à 2015, Christian N. siégeait... au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.