Jean-Pascal Assailly : C’est une statistique inchangée depuis que l’on compte le nombre de tués en France sur les routes, soit depuis 1955. Aucun autre facteur n’est aussi prégnant que le sexe pour expliquer la mortalité routière. Cet écart entre les sexes a même tendance à s’aggraver dans certaines tranches d’âge. Dans les années 80 et 90, la mortalité sur les routes chez les adolescents (en deux roues, en tant que passagers ou piétons) était de 75% de garçons pour 25% de filles, aujourd’hui elle est respectivement de 83% et 17%.
J.-P. A. : En effet tout le monde s’attend à ce que cette différence s’amenuise, et que le sex-ratio de 75/25 passe à 50/50. Les femmes rattrapent peu à peu les hommes dans plusieurs domaines : elles travaillent, conduisent beaucoup, consomment plus d’alcool et de cannabis qu’avant, elles se mettent donc davantage en danger. Pourtant elles ne deviennent pas aussi transgressives que les hommes. C’est le grand mystère de la sécurité routière. Évidemment les évolutions sociétales ont tout de même un impact sur l’accidentologie. Dans certains pays la différence entre le nombre de tués hommes et femmes est beaucoup moins importante, ce sont les pays les plus avancés en matière d’égalité des sexes : la Suède, la Norvège, la Finlande, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Dans ces pays les femmes ont pris plus de pouvoir et de libertés, d’où aussi la liberté de faire les mêmes bêtises que les hommes… Dans nos pays latins (France, Italie, Espagne), le machisme encore prégnant les protège d’une certaine façon.
J.-P. A. : En effet c’est une des différences fondamentales entre l’homme et la femme. Des tests réalisés avec des enfants montrent que la perception du danger est la même chez les filles et les garçons, malgré cette conscience des risques, les garçons passent quand même à l’acte pour transgresser. Chez les filles, quand un interdit est posé il apparaît comme un mur infranchissable. Il y a en revanche chez les garçons une propension à jouer avec la loi, et cela s’observe dès le début de la vie.
J.-P. A. : De mon point de vue il y a d’abord une explication biologique. Les garçons sont soumis à un bombardement massif de testostérone, à l’adolescence le taux d’hormones est multiplié par 14. On connaît désormais le rôle de cette substance dans les comportements agressifs, la compétitivité et la prise de risque. Cet aspect biologique explique que les hommes soient plus fragiles que les femmes en général, et sur la route en particulier. Un deuxième facteur concerne l’éducation, plus précisément l’adhésion des pratiques éducatives parentales aux stéréotypes de sexe. On n’éduque pas de la même façon les filles et les garçons. Quoiqu’on en dise, la plupart des parents se montrent plus restrictifs et plus punitifs avec les filles qu’il s’agit de protéger et de maintenir dans le giron familial, tandis qu’avec les garçons, il y a une tolérance supérieure face aux comportements dangereux, on attribue ceux-ci à la nature, et on se montre plus laxiste. Les parents sont plus ou moins attachés à ces pratiques éducatives stéréotypées, et cela joue fortement ensuite sur les comportements du jeune.
J.-P. A. : Je pense même qu’il y a une explication anthropologique à ces écarts de conduite sur la route. On peut remonter à des millions d’années, lors du partage des tâches entre hommes et femmes. On a confié aux hommes la maîtrise des outils, soit les armes pour la chasse. Au XXe siècle, l’outil roi est devenu la voiture, d’où un rapport parfois libidinal à cet objet. Les femmes se sont vu confier la maîtrise de la relation, et le soin des enfants, elles ont de fait développé une structure anthropologique mentale qu’on peut appeler le « souci de l’autre ». Leur mission à elles, c’est la survie de l’espèce, soit la modération des prises de risque de leurs fils et conjoints. Si aujourd’hui on constate que ces différences de sexe persistent, c’est la preuve que quelque chose de très profond résiste aux évolutions sociétales.
J.-P. A. : La peur n’est pas forcément le pendant négatif de la prudence, c’est une fonction de protection indispensable. Si un enfant n’a pas peur du feu, il faut s’inquiéter ! Il est vrai que les femmes expriment plus d’anxiété sur la route, on touche encore à un stéréotype qui concerne l’affirmation de soi. Les femmes pèchent par manque de confiance en elles, tandis que les hommes montrent souvent un excès de confiance sur la route. Elles surestiment le danger, et sous-estiment leur capacité à réagir face à ce danger, chez les hommes c’est tout l’inverse. Tous ces réflexes émanent de l’éducation stéréotypée que nous recevons, et viennent légitimer cette campagne qui n’est rien d’autre qu’une incitation pour les femmes à s’affirmer, à dire NON, et à imposer leur point de vue en voiture.
J.-P. A. : Je ne vois pas le mal qu’il y a à dire la vérité sur les comportements sur la route. Par ailleurs je suis un homme et je suis prêt à avouer que les femmes se comportent mieux en voiture. Il s’agit de corriger l’adage populaire « femme au volant, la mort au tournant », puisque les recherches et les chiffres montrent que c’est exactement le contraire !
*Jean-Pascal Assailly est docteur en psychologie et chercheur à l’Ifsttar, Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux.
Jean-Pascal Assailly
Crédit photo : campagne Sécurité routière
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