Parfois vraiment, on se demande ce qui passe par la tête de certain.e.s publicitaires pour nous pondre des merveilles pareilles. Afficher une femme en soutif noir accrochée à une chaîne pour vendre du... carrelage : une trouvaille d'un vendeur de Franqueville-Saint-Pierre dans la région de Rouen en Seine-Maritime. L'info a été repérée par France Bleu Normandie. Des riverains n'ont pas manqué de se poser des questions sur la pertinence de cette publicité dans leur quartier.
Sur son site internet, France Carrelage Rouen semble coutumier du fait et n'hésite pas à vendre sa décoration d'intérieure avec des femmes en mini-jupe lascivement installées dans des canapés.
Le vendeur n'en est pas à son premier fait d'arme puisqu'un riverain avait déjà porté plainte en novembre 2017 auprès de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) pour une publicité similaire près de Dieppe, également en Seine-Maritime. Une demande de retrait avait été formulée auprès du vendeur. Selon le compte-rendu de la décision de l'ARPP en date de février dernier, le plaignant avait fait savoir que "cette publicité, montrant une femme tenant des chaînes dans une posture qui fait plus penser à une annonce pour un sex-shop qu'à la vente de carrelage, est dégradante pour les femmes et sans rapport avec le produit promu."
L'ARPP s'était appuyée sur plusieurs articles de la recommandation "Image et respect de la personne". Premièrement, "la publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes à la fonction d'objet". Ensuite, "la publicité ne doit pas cautionner l'idée de l'infériorité d'une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société." Et enfin, "la publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d'exclusion, d'intolérance, de sexisme".
Prévenue de la plainte, la marque avait alors fait savoir que "cette affiche a été posée pour assurer une visibilité à la société, sans intention de choquer ni but de sexisme." On se demande encore une fois ce qui a manqué dans leur éducation pour penser que cette publicité n'est pas purement sexiste. Il suffit d'imaginer à la place un homme en slip se balançant au bout d'une corde pour vendre un barbecue.
Dans son avis final, l'ARPP s'était prononcée ainsi : "Ce visuel utilise le corps d'un modèle féminin dans une tenue à connotation érotique pour rendre attractif le produit présenté, qui n'a aucun rapport ni avec le corps, ni avec la tenue "sexy" arborée par le mannequin. Il réduit ainsi la femme à une fonction d'objet sexuel et véhicule un stéréotype dégradant, ce qui porte atteinte à sa dignité."
A l'époque de cette première plainte, l'entreprise s'était engagée à faire retirer la publicité incriminée. Sauf que celle-ci, quasiment identique, a été repérée ailleurs ce mois de mai. Interrogé par France Bleu, Jean-François Nadaux, le patron de France Carrelage, répond aux critiques : "Tous les gens me disent que l'affiche est très belle et que la fille aussi et que ça met le carrelage en valeur [...] L'affiche y est depuis un an et demi, j'ai jamais eu de remarque là-dessus." Jamais de remarques, à part une plainte à l'ARPP !
Mettre des femmes nues pour vendre tout et n'importe quoi reste encore la solution de facilité pour un paquet de marques. Selon un rapport du CSA paru fin 2017, "les deux tiers des publicités présentant une sexualisation des personnages mettent en scène des femmes (67 % vs. 33 %)."
Ces derniers mois, l'ARPP a rendu plusieurs avis sur de nombreuses publicités douteuses. Mais ses avis ne sont pas coercitifs et elle n'a aucun moyen d'agir. Le Jury de Déontologie Publicitaire "se prononce exclusivement sur la conformité de la publicité avec les règles déontologiques de la profession [...] Le JDP ne traite pas du non-respect des règles de droit, qui est du seul ressort des tribunaux et de l'administration."
Selon France Bleu, l'ARPP souhaite seulement faire pression en jouant sur la réputation de l'entreprise. Mais France Carrelage ne se sert-elle pas du bad buzz pour faire parler d'elle ? Certaines entreprises agissent en toute impunité comme les Suceuses de l'Ouest, qui elles sévissent depuis 2012. Cette marque d'aspirateur de chantier joue la gaudriole de chantier de mauvais goût en ayant repeint ses camions en rose.
Bref, les blagues sexistes à deux balles pour vendre tout et n'importe quoi, cela ne fait plus rire personne. Sauf quelques ringards. Les temps changent dans la publicité, comme le démontre la création d'agences de communication féministes comme Mad and Women, qui souhaitent casser ces vieux stéréotypes. Il serait temps pour les autres de revoir leur classiques démodés.