Pas facile à dessiner, ce petit organe. Les filles confrontées à l'exercice s'interrogent, hésitent, rigolent. Parce que le clitoris reste encore aujourd'hui un "continent inconnu" alors même qu'il est au coeur de la sexualité féminine. Celle-là même que l'on rêverait épanouissante et égalitaire. Tel est le point de départ du documentaire de Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet. Dans leur film Mon nom est clitoris, les deux réalisatrices ont choisi d'interroger douze jeunes femmes âgées de 20 à 25 ans sur leur sexualité au sens (très) large du terme.
Face caméra, tranquillement lovées sur un lit, ces filles se confient sur leurs premières sensations, leur apprentissage cahin-caha, leurs premières expérimentations, leurs angoisses, la difficulté à s'accepter. Les mots se font politiques, pudiques, gênés. Et cette parole libérée, plurielle et touchante, ouvre un espace de dialogue pour explorer ce grand tabou. Car de l'éducation parentale pétrie de non-dits aux manuels scolaires qui invisibilise le clitoris, cette question structurelle persiste : comment et pourquoi en sait-on aussi peu sur la sexualité des femmes ?
A travers ce documentaire projeté dans le cadre du festival LBGTQ+ Chéries-Chéris ce samedi 16 novembre (mise à jour 2020 : le film sort au cinéma le 22 juin), Lisa Billuart Monet et Daphné Leblond ont voulu établir un état des lieux de nos tabous, fantasmes et projections et façonner un outil à la fois éducatif, drôle et militant. Mission accomplie.
Terrafemina : Pourquoi avoir choisi la sexualité féminine comme sujet pour votre premier film ? Quel en a été le déclic ?
Lisa Billuart Monet : Nous sommes deux ex-camarades d'école d'audiovisuel en Belgique et nous sommes parties toutes les deux en voyage en Turquie. Là-bas, on a parlé de sexualité ensemble. C'était l'une des premières fois ! C'était très libérateur. Et on s'est dit que ça serait chouette d'en parler avec d'autres filles et qu'il y avait suffisamment de matière pour en faire un film qui fasse du bien.
Le documentaire couvre le spectre de la sexualité féminine de manière complète. Pourtant, le titre est "Mon nom est clitoris". Pourquoi ce focus ? Pour son symbole militant ?
Daphné Leblond : Oui, c'est ce qu'on se dit. On s'est dit que le plaisir clitoridien était tellement ignoré et on ne lui accorde pas assez de place. L'orgasme et le plaisir sont liés au bonheur, mais aussi à l'indépendance. C'est ce dont on parle avec la masturbation : c'est l'auto-suffisance, le droit à jouir sans avoir besoin de quelqu'un d'autre. Et c'est donc aussi un grand pouvoir subversif. Le clito est devenu un symbole militant. Il est lié ces questions de se réapproprier le contrôle de son plaisir et de sa vie.
Lisa Billuart Monet : Dans le film, c'est assez concret : les filles interrogées ne savent pas le dessiner et en même temps, c'est un symbole qu'elles brandissent. Elles se l'approprient. C'est un symbole de leur féminité, de leurs revendications.
Lisa : On voulait vraiment que ce soit à visage découvert. On a donc demandé à des amies très proches de nous. Et pendant les premières interviews, on était étonnées que ça marche autant. C'était des sujets qu'on n'avait pourtant jamais abordés en profondeur avec ces amies proches ! A partir de là, on a demandé à ces copines si elles ne connaîtraient pas d'autres filles prêtes à témoigner. Et on a mis des annonces sur les réseaux sociaux. Et on s'est rendu compte qu'on répondait à un besoin... Ces filles ont parlé parce qu'elles avaient envie de dire des choses.
Daphné : On a cet espoir. On a l'impression que des filles entre 16 et 20 ans s'emparent du sujet. C'est très important. Et il y a beaucoup de choses qui circulent sur Instagram. On est des millenials nous-mêmes, étant nées en 1991 et 95. Mais est-ce que ces filles et ces garçons sont plus libres ? Pas beaucoup, je pense.
Lisa : Il y a encore de la gêne, mais elles réussissent à dépasser cela parce qu'elles se disent que c'est important pour elles et pour les autres. Si on était une génération complètement décomplexée et déconstruite, ce film n'existerait pas. Il y a eu un recul après la libération sexuelle. Et plein de gens nous disent après avoir vu le film : "Ah, je ne pensais pas qu'on en était encore là...". Par exemple quand l'une d'entre elle pensait que l'urètre et le vagin était le même orifice. Jusqu'à ses 24 ans, elle ne sentait pas. C'est surprenant.
Daphné : On aimerait avoir une égalité sur la connaissance de nos corps, que l'on ait accès à des cours, que l'on apprenne à mieux connaître notre corps, mais aussi l'accès au plaisir qui devrait être plus égalitaire. 95% des hommes hétéros arrivent à l'orgasme pendant un rapport sexuel et a contrario, seules 65 % des femmes atteignent l'orgasme. On entend que l'orgasme féminin, c'est "plus complexe". Sauf que les lesbiennes arrivent beaucoup mieux à atteindre l'orgasme. 85% des femmes homosexuelles y parviennent. Le film est féministe car nous sommes pour ces égalités-là.
Daphné : A partir du moment où l'on prend conscience de la réelle diversité sexuelle, il n'y a qu'une seule chose qui fonctionne, c'est écouter les témoignages et en accumuler beaucoup. On a travaillé à partir du rapport Hite, best-seller dans les années 70 et qui n'est quasiment plus édité. Ce bouquin regroupe des milliers de femmes qui témoignent de façon hyper détaillée. Il n'y a qu'en confrontant toutes les expériences et en les verbalisant qu'on peut se rendre compte de la faiblesse de la "norme".
Il y a aussi la question de la représentation du corps. Parce qu'on sait très bien qu'on manque cruellement de "vrais" corps. Je sais qu'on regardait beaucoup de films de Bollywood quand j'étais gamine et je peux vous dire que cela change toute votre perception lorsque la "norme", c'est 25 kg de plus !
Avez-vous eu des retours d'hommes suite aux projections de ce film ?
Lisa : Un jeune garçon de 15 ans est venu nous voir après une projection et nous a dit : "Votre film, il est quand même bien pratique pour les garçons aussi !". C'était un retour très sympa.
On a plusieurs types de réactions : "Pourquoi les hommes ne sont pas représentés dans le film ?". Qu'ils ne soient pas le sujet est un peu compliqué à comprendre pour eux... Mais cela les fait réfléchir au poids du patriarcat, aux normes de masculinité et de virilité. Ils nous disent aussi : "Je me rends compte qu'on ne parle pas du tout de sexe entre hommes". C'est positif pour eux, quelque part.
Et puis on a eu aussi un homme qui, après une projection, s'est excusé au nom de tous les hommes publiquement ! Mais on n'attend pas des excuses, on attend la révolution. Pire : on fait la révolution ! (rires)
Daphné : Oui, ça faisait partie du projet initial et c'est en train de se concrétiser en Belgique. On attend juste que l'Education nationale nous propose un million d'euros ! (rires)
Lisa : Le Planning familial qui s'occupe de donner des cours éducation en Belgique nous a contactées et ils ont écrit un dossier pédagogique sur lequel nous avions un droit de regard. Cela va être distribué dans une centaine de plannings et ce sera aussi utilisé comme outil pédagogique dans les écoles en Belgique.
Lisa : On aimerait faire des petites capsules web de quelques minutes sur les personnes qui ne sont pas représentées dans le film, comme les personnes trans ou des personnes handicapées. On a commencé à chercher des gens pour témoigner. Et nous cherchons des financements.
Nous avons découvert Les eaux profondes lors d'un festival, un documentaire sur l'éjaculation féminine, qui est un sujet qu'on ne traite pas beaucoup. Des femmes y sont interviewées, c'est libéré et il y a des réponses très concrètes. Très intéressant et visuellement dingue.
Les recueils de témoignages en terme de diversité sont aussi quand même très efficaces. Le rapport Hite est une bible.
Et puis il y a énormément de podcasts, comme Les couilles sur la table. Et le livre de Manon Garcia, On ne naît pas soumises, on le devient ou encore Martin Winkler, Le choeur des femmes, qui est un bon pilier.
Documentaire Mon nom est clitoris
Réalisé par Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet
Sortie au cinéma le 22 juin 2020