« Où sont les photos piratées d’hommes ? » Cette question, c’est le très sérieux magazine Time qui l’a posée, au lendemain de la fuite des photos des stars sur la Toile, dans un article publié sur son site. En effet pour la journaliste Sarah Miller, le piratage sans précédent des photos de dizaines de star est une preuve de plus de la misogynie sur Internet, ce miroir grossissant et, comme elle l’écrit, ce « refuge de lâches », où le sexisme de bas étage est rendu encore plus possible par l’anonymat.
Dévoiler des photos dénudées de stars comme l’a fait le hacker désormais recherché par le FBI, n’est-ce-pas un moyen d’assujettir ces actrices, mannequins et chanteuses célèbres dans le monde entier ? Tout ceci afin de leur rappeler qu’elles ont beau être riches, populaires et adorées, comme Jennifer Lawrence, chouchou d’Hollywood depuis son Oscar pour le film Happiness Therapy, elles peuvent subir les mêmes humiliations et les mêmes avanies que n’importe quelle femme sur Internet. Exhiber leur nudité sans fard en piratant leurs photos intimes, c’est une manière de les faire redescendre de leur piédestal en cassant l’image de quasi-divinités dont elles jouissent. Une inversion de pouvoir, en quelque sorte.
(Crédit : John Shearer/AP/SIPA)
Et que répondre à ceux qui disent que c’est la rançon de la gloire ? De fait, depuis des années, on entend cet argument selon lequel les stars doivent s’habituer à être harcelées, car « c'est le prix de la célébrité ». Comme si, en devenant des personnalités publiques, ces femmes renonçaient à leur intimité. Et pouvaient ainsi être traînées dans la boue à loisir dans les journaux à scandales, à la différence des hommes ; il suffit de comparer le traitement médiatique de l’affaire Divine Brown (souvenez-vous, Hugh Grant...) et, des années plus tard, celui de l’aventure de Kristen Stewart avec le réalisateur de Blanche-Neige et le Chasseur pour se convaincre que les hommes et les femmes ne sont pas logés à la même enseigne.
Non seulement cet argument est inacceptable, mais il est sexiste, tout comme l’idée accréditée par des spécialistes comme le psychiatre Serge Tisseron - qu’on a connu plus pertinent - selon laquelle les stars dont les corps se sont retrouvés exhibés sur Internet l’ont, d’une certaine manière, « bien cherché ».
Dire que les stars qui ont consenti à poser sur ces clichés intimes (et les ont gardés sur leur portables ou leurs clouds) sont responsables de leur sort revient en effet à blâmer des femmes qui sont avant tout des victimes, en employant les arguments dignes de la « culture du viol », comme « elle n‘avait qu’à pas porter des vêtements aussi aguicheurs ». Pis, il y a là, en filigrane l’idée selon laquelle ces femmes ont, quelque part, péché par excès de narcissisme en exhibant leur corps et méritent donc d’être punies.
Que l’on ne s’y trompe pas. Ce dont témoigne cette affaire, c’est de l’obsession de notre époque pour le corps de la femme. Mais attention, pas n’importe quel corps. Certaines des actrices dont les photos ont été piratées, par exemple, sont déjà apparues quasi-nues au cinéma, sans que cela déchaîne les passions. C’est précisément le fait de découvrir leurs corps jeté en pâture sur des images non autorisées, comme les photos volées prises par un paparazzi, qui a émoustillé la Toile.
Et les hommes, alors ? Pourquoi si peu de photos d’hommes nus fuitent-elles sur Internet ? Pour quelques clichés de Brad Pitt nu, combien de piratages de photos de stars féminines ces dernières années ? Les rares fois où des photos d’hommes nus se retrouvent sur Internet, elles ont en général été divulguées par les intéressés eux-mêmes, soit à la suite d’une malheureuse erreur de manipulation, soit dans un élan exhibitionniste, à l'instar de James Franco, qui a inondé récemment Instagram de photos olé-olé, faisant preuve d'un déroutant second degré. Rarement les stars masculines sont-elles victimes de piratage malveillant, comme celui qui exposa les fesses de Scarlett Johansson au yeux du monde entier.
Quant aux réactions que provoquent ces photos intimes, elles diffèrent largement. Qu'ils soient dévoilés ou évoqués, les attributs d’un homme suscitent en général blagues potaches et second degré. Qui n'a pas déjà souri en découvrant l'érection - simplement suggérée - de telle ou telle star surprise dans un moment embarrassant, comme on en voit régulièrement sur le site du blogueur Perez Hilton, qui s'est fait une spécialité de traquer les photos dans ce goût ?
(Capture d'un article sur le site Perez Hilton)
Non qu'un corps d'homme nu soit nécessairement comique, bien évidemment. Mais, ce qui est certain, c'est qu'il y a quelque chose de moins menaçant dans ces plaisanteries, généralement bon enfant, que dans les torrents de commentaires crus et toujours sexuels qui ont accompagné la publication des photos compromettantes de Jennifer Lawrence le week-end dernier.
Dès dimanche soir, le corps de la jeune actrice était, en effet, analysé sous toutes ses coutures par les twittos, qui n’ont pas pu s’empêcher de jauger ses qualités physiques comme un maquignon évaluerait un cheval. Quand ils ne faisaient pas des remarques carrément désobligeantes...
The internet right now #JLaw pic.twitter.com/gD5MWuQ5Nf
— Based Wizard (@ItsMagicHere) August 31, 2014
Just seen Jennifer Lawrence's boobies, Mondays aren't that bad #JenniferLawrence #boobs #goodtothelads
— sean lind (@slind_) September 1, 2014
Dunno what #JLaw is moaning about. She had more people simultaneously masturbating to her than anyone else in history ever. That's rad.
— ? Slam X Parson ? (@SamJBarson) September 3, 2014
« Il y aura toujours des pirates pathétiques et il y aura toujours des gens pour s'émerveiller devant le fait que, oui, les stars ont un corps sous leurs vêtements, comme tout le monde », écrit la journaliste Hadley Freeman dans un article sur le site du Guardian dénonçant le sexisme au coeur de toute cette affaire. Et celle-ci de proposer, en guise de conclusion, qu'on projette dans le ciel une image de « L'Origine du monde », de Gustave Courbet, à chaque fois que la photo d'une femme nue fuite sur la Toile. Histoire de dire aux voyeurs du monde entier qui s'excitent sur ces images privées : « Oui, vous êtes tout bonnement en train de regarder un vagin. C'est la première fois que vous en voyez un ? ».
(Crédit : GINIES/SIPA)