Culture
Pourquoi Sarah Connor est toujours aussi iconique
Publié le 18 octobre 2019 à 18:12
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Qu'on le sache, la vraie vedette de "Terminator", ce n'est pas Arnold Schwarzenegger, non, c'est elle : Sarah Connor. Le personnage incarné par Linda Hamilton revient sur nos écrans avec la sortie du dernier opus de la saga culte. Une bonne occasion pour se demander pourquoi cette femme "badass" est si iconique.
Sarah Connor, une icône est née. Sarah Connor, une icône est née.© 20th Century Fox
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"I'll be back". Cette réplique mythique d'Arnold Schwarzenegger dans le premier Terminator (1984) est à double-sens aujourd'hui. Car ce "je reviendrai" s'applique autant au personnage du T-800, incarné par le légendaire acteur autrichien, qu'à celui de Sarah Connor. L'éternelle combattante en cavale est de retour dans Terminator : Dark Fate (sortie en salles le 23 octobre 2019), le sixième opus de la saga initiée par James Cameron.

Et son interprète, la très discrète Linda Hamilton, réendosse son marcel à l'occasion. D'une réplique "clin d'oeil" à l'autre, l'actrice sexagénaire nous rappelle à quel point Sarah Connor est le coeur battant de ce monument de science-fiction qu'est Terminator. A l'instar d'Ellen Ripley, survivante malmenée d'une autre grande franchise S-F (Alien), elle reste l'une plus légendaires héroïnes de l'imaginaire hollywoodien. Et voici pourquoi.

"Elle est la colonne vertébrale de Terminator"
Sarah Connor, la femme est l'avenir de l'homme. © 20th Century Fox

Mais c'est qui, déjà, Sarah Connor ? A l'origine, une vague silhouette perdue à Los Angeles. Dans le premier opus de Terminator sorti il y a trente-cinq ans (oui, déjà), c'est une jeune femme comme les autres, qui taffe en tant que serveuse dans un diner pour payer ses études. La girl next door par excellence. Mais sa vie bascule quand débarquent deux entités émergées de l'an 2029 : le Terminator T-800, cyborg venu pour la tuer, et Kyle Reese, soldat venu pour la sauver. Un classique schéma de "demoiselle en détresse" s'il en est. Avec sa coupe de cheveux so eighties, Sarah serait la "miss" en question, à sauver des griffes du vilain croquemitaine.

Oui mais non. Car dans un 21e siècle apocalyptique décimé par une guerre nucléaire, apprend-t-elle de la bouche de Kyle, c'est son futur fils John qui guidera la résistance humaine face aux machines suprématiques. De sa survie dépend celle de l'humanité. La femme est l'avenir de l'homme. Pour le personnage, c'est une révélation. Et pour le public, une révolution. Ce n'est pas elle qui figure sur l'affiche (où trône un majestueux autant que bizarroïde Arnold Schwarzenegger) ou qui squatte la première partie du film (où dérive le charismatique Kyle Reese) et pourtant, Sarah Connor s'avère être la véritable "vedette" de cette curiosité S-F.

De quoi être pris·e au dépourvu. Pour David Fakrikian, auteur du passionnant James Cameron: L'odyssée d'un cinéaste (Fantask Editions), c'en est quasi "subversif". Sarah Connor est un "cheval de Troie" : tous les mâles teenagers venus en quête de quelques frissons faciles se retrouvent face à une protagoniste "à laquelle leurs petites amies peuvent illico s'identifier" et qui s'avère être "la colonne vertébrale du film". En moins de deux heures, Sarah Connor va hurler, angoisser et courir, puis, enfin, décider - d'aimer et de se battre. D'anonyme ("Sarah Connor" parmi d'autres au sein de l'annuaire), elle se fait héroïne, confuse et en voie d'émancipation.

"Lorsque, pourchassés dans le parking par le Terminator, Kyle Reese lui dit "prends le volant !", elle le fait. Et plus tard, en pleine fuite, elle choisit d'arrêter la voiture net. En prenant le volant, elle prend les choses en main", analyse le spécialiste. Pour la journaliste Perrine Quennesson, intervenante au sein du podcast No Ciné (Binge Audio), c'est de cela dont il est question : "prendre en charge une destinée qui est plus grosse qu'elle, avec les armes de son temps". C'est ce que font toutes les femmes filmées par James Cameron. Quand bien même leur "destinée" serait funeste, elles dévient d'une existence toute tracée en l'acceptant. Bref, elles se rebellent. De Sarah Connor, Mère de la Résistance, à l'irrévérencieuse Rose de Titanic, "chacune représente un versant de l'empowerment", analyse la critique.

Et dans un récit placé sous le signe de la machine, c'est toujours le vrombissant bolide qui symbolise sa liberté : en fin de parcours, Sarah taille la route dans le désert américain, seule, à bord d'une décapotable, lunettes de soleil au pif, un grand sourire sur le visage, le flingue à proximité. Rétrospectivement, ces images font penser au classique féministe Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991). Une icône est née.

Une femme aussi trouble que puissante
Sarah Connor : la badasserie n'est jamais finie. © 20th Century Fox

Sa stature d'emblème, elle la grave dans la roche - à grands renforts de poings et de plomb - sept années plus tard. Dans Terminator 2 : le jugement dernier (1991), elle doit "faire équipe" avec le T-800 qui a manqué de l'assassiner pour s'assurer que l'increvable machine T-1000 ne crible de balles son fils John (Edward Furlong), désormais adolescent. Musclée et furieuse, blindée d'armes et de munitions, Sarah Connor devient l'une des femmes les plus "badass" de la pop culture. En s'évadant de l'hôpital psychiatrique de Pescadero, l'insoumise pète les dents et les bras des porcs qui la méprisent et la maltraitent. Bref, c'est une vraie dure à cuire. Mais pas que.

Car Terminator 2 est avant tout une vaste allégorie sur la figure de la "mauvaise mère". Des années durant, Sarah a cherché le bon "role model" pour John, sans jamais y parvenir. Figure trouble, que l'on prend pour une cinglée et qui perçoit en un robot humanoïde ce fameux "père idéal" (le T-800), femme tourmentée qui chaque nuit rêve d'enfants consumés vifs par les flammes, Sarah Connor est une mère que la société (et le destin) accablent au point de lui refuser ce rôle. Animée par "la colère, l'espoir et la détermination", elle est également "folle, compliquée, pas là pour être aimée ou détestée", affirmait récemment James Cameron. Ce n'est pas qu'une égérie "girl power" qui sait viser, mais un personnage complexe.

"Dans cette suite, Sarah Connor devient le Terminator. Au gré des courses poursuites, elle n'est plus que réflexes. Ses gestes sont mécaniques. Elle devient une machine de guerre par la force des choses", appuie la journaliste Perrine Quennesson. Déjà dans le premier Terminator, son entrée en scène avait lieu suite à un bref plan sur... son numéro de serveuse. Tel le T-800, elle n'est qu'un chiffre. Loin des calibres en surchauffe, ce sont ses faiblesses qui font sa force, lui rendant âme et affects. Son désespoir par exemple, que cette grande mélancolique exprime en serrant son fils dans ses bras, en larmes, après avoir tenté d'abattre l'ingénieur Dyson.

"Comme le personnage de Schwarzenegger, Sarah Connor va s'humaniser. En se reconnectant à sa maternité et en comprenant qu'elle ne doit pas laisser cette peur du futur diriger sa vie. C'est très psychologique", achève l'auteur de James Cameron: L'odyssée d'un cinéaste. Cette représentation de la Mère qui sauve l'enfant de la mort en prenant les armes, James Cameron en avait déjà fait le climax d'Aliens, où flamboie la tout aussi ambivalente Ellen Ripley (Sigourney Weaver). Une conception de la "badasserie" qui fait dire à certains que le cinéaste écrit ses "femmes fortes" comme des personnages masculins bien virils, tout en muscles et en flingues.

Une critique bidon, tacle Perrine Quennesson. "Tout comme le Terminator, cette machine qui n'a pas de genre, si ce n'est celui qu'on lui construit à chaque épisode, ce n'est pas parce que Sarah Connor sort de gros guns qu'elle est un 'bonhomme' !. Ceux qui le pensent doivent avoir un problème avec la représentation des femmes puissantes. En quoi tenir une arme rendrait une femme masculine ?", s'interroge à juste titre la journaliste.

Un personnage inégalé
Sarah Connor : "i'll be back". © 20th Century Fox

C'est ce "trouble dans la force" qui rend Sarah Connor si singulière. Une ambiguïté que personne ne porte aussi bien que Linda Hamilton, actrice rare et mésestimée. "Sa" Sarah sera par la suite incarnée par la Mère des Dragons Emilia Clarke (Terminator : Genisys) et par Lena "Cersei Lannister" Headey (la série télévisée Les chroniques de Sarah Connor). Mais aucune de ces revisites ne lui arrive à la cheville. Alors que Terminator : Dark Fate place définitivement la saga futuriste sous le signe de la féminité triomphante (via son trio d'actrices principales), force est de constater que la Mère de la Résistance manque cruellement d'héritières.

Dur à croire, tant les blockbusters d'aujourd'hui regorgent d'héroïnes inspirantes qui en ont marre d'être de bêtes princesses à délivrer. Il manque pourtant à ces protagonistes un petit quelque chose de "cameronien". Et le principal intéressé est le premier à le penser ! A l'écouter, un succès récent comme Wonder Woman fait du mal au féminisme. "Dans ce film, Wonder Woman est une icône objectivée. C'est juste le Hollywood masculin qui fait encore la même chose ! C'est un pas en arrière", raconte-t-il en interview.

David Fakrikian abonde d'ailleurs à l'unisson. "Ce que je n'aime pas avec Wonder Woman, c'est ce que ce personnage est insultant : je ne peux pas croire qu'une déesse ne comprenne rien au monde moderne, et, surtout, que ce soient les hommes qui doivent tout lui expliquer, que l'on doive la recadrer ! Là où Sarah Connor ne passe jamais pour une idiote quand elle s'exerce à comprendre ce qui se passe", fustige le journaliste. Finalement, ce que la super-héroïne a de "wonder", sa force physique, sa détermination et son charisme, Sarah Connor l'avait déjà, quelques décennies plus tôt...

"Sarah Connor n'était pas une icône de beauté et n'était jamais traitée comme un objet sexuel. Elle était forte, troublée, c'était une mauvaise mère. Et elle a gagné le respect du public, malgré tout. C'était un personnage en avance sur son temps qui changeait complètement de ce qu'on voyait à l'époque. Même aujourd'hui on ne propose pas de tels rôles féminins", développe encore le réalisateur canadien.

Le webzine militant Deuxième Page ne saurait lui donner tort. Selon ce captivant article, Sarah Connor est "l'héroïne nécessaire" et indépassable du féminisme "pop". De Rey (Daisy Ridley), la Jedi empouvoirée de Star Wars, épisode VII : Le Réveil de la Force, à Furiosa (Charlize Theron), la guerrière du post-apo Mad Max : Fury Road, nulle n'est encore parvenue à l'égaler.

Et son come-back dans Terminator : Dark Fate est là pour nous le rappeler.

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