"Pour les Françaises, le bronzage topless n'est plus si tendance", vous apprenait-on il y a quelques semaines de cela. Selon une récente étude menée par Étude Ifop pour viehealthy.com, seules 22 % des Françaises osent enlever leur haut l'été. Et encore, de manière occasionnelle. Les raisons du désamour ? Elles sont plutôt graves. Selon François Kraus, le directeur du pôle actualité de l'Ifop, la majorité des femmes de moins de 25 ans interrogées par l'institut de sondage se couvrent la poitrine "par crainte d'attiser le désir des hommes et d'être l'objet d'agressions physiques ou sexuelles".
La plage est "un signe que la pression sexuelle qui s'exerce toute l'année sur les femmes continue en été", explique le directeur. Et ce sondage, lui, nous démontre ô combien le topless est loin d'être une pratique évidente. Oui, même en 2019. Pourtant, elle suscite autant la réticence que la passion. Et en elle s'exprime autant la militance que l'appréhension. C'est ce que nous démontrent avec éloquence celles qui enlèvent le maillot, et celles qui le gardent sur elles. Témoignages.
"Oui, il y a cette peur que lorsque les hommes nous voient en topless, ils nous prennent pour des 'filles faciles' bien que je n'aime pas ce terme", approuve Célia. Cette jeune femme de vingt-trois ans comprend tout à fait les résultats de cette enquête. Elle se dit que pour des regards mal-intentionnés, la bronzette seins nus est forcément une technique de séduction, venant de celles qui cherchent la drague. "Voire du sexe". Or, la sur-sexualisation du corps féminin lui déplaît tout autant que les noms d'oiseaux que doivent subir celles qui assument leur sexualité. Dans les deux cas, la femme est forcément perdante. Toujours, elle se voit "jugée" entre deux baignades.
Mais quelque chose de plus lourd la retient de sauter le pas. Les réactions des parents qui se diraient volontiers "choqué·es" de la voir ainsi dévoilée sous les yeux de leurs enfants par exemple, l'appréhension de remarques véhémentes et de petits scandales, le risque d'un malaise contagieux ensuite. Bref, toute cette palette d'émotions violentes et contradictoires suscitées par les seins des femmes, qui vont "de l'envie" à "la gêne" en passant par "le dégoût" d'autrui. Autant le faire sur une plage naturiste, se dit-elle. Dans un endroit où codes, regards et intentions seraient différents. Plus nuancés.
"Je n'ai pas de poitrine...Sur la plage, j'aurais le sentiment d'être jugée, et aussi d'être comparée à d'autres. Avec un maillot de bain, je me sens plus cachée", m'explique Amélie, 31 ans. Ce corps, elle l'assume chez elle, lorsqu'elle se balade seins nus "en plein appartement", mais entre trois parasols, tout est plus compliqué. Selon elle, tout est une question d'acceptation de soi. Car au fond, la peur de voir arriver un mec toxique sur la plage n'est pas pire qu'ailleurs. "Pour les gros lourds, tu peux tout aussi bien être dans le métro, rien ne les arrête", ironise-t-elle. En conservant son maillot, elle reste dans sa zone de confort, plus à l'aise, comme protégée.
Judith, 23 ans, approuve à l'unisson. Le topless, elle ne l'oserait qu'en couple, "l'astuce" pour attirer moins de relous. Sa réticence émane de diverses raisons. La peur de "choper" un cancer de la peau par exemple. Cette conscience aiguë que "la peau des boobs est super fragile". Mais le jugement des autres la met aussi sous pression. Sur la plage, c'est une certaine tension qui s'exacerbe. Elle le déplore : "en maillot déjà, on est super vulnérable". Il faut dire que le lieu en dit long sur le traitement des femmes au sein de l'espace public. Qu'elles soient accoudées au comptoir d'un bar ou installées sur un banc, un livre dans les mains, celles-ci seraient forcément "disponibles". En attente d'une présence masculine. La plage n'est que l'extension de ce fantasme erroné. "Il y a encore du chemin pour que les femmes puissent être / se sentir complètement libres", s'attriste Amélie.
Vous vous en doutez, entreprendre ce chemin n'a rien d'anodin. Voyez Gala. Cela fait trois ans que cette autrice féministe et végane pratique le topless. Tout a commencé un été, sur une plage du sud du Portugal. Voir autant de femmes se balader seins nus sur le sable l'a incitée à sauter le pas. Ça, et le fait de pratiquer le no-bra (le refus du port du soutien gorge) depuis un an déjà. Pour Gala, le topless est la suite logique de cette expérience sociale. Une manière de lutter contre les discriminations faites aux poitrines féminines, des injonctions à "se couvrir" que subissent les mères qui allaitent en public à la diabolisation massive des tétons. De la censure d'Instagram aux règlements restrictifs des piscines municipales...
"Le topless est un geste militant à part entière. J'ai découvert un incroyable moyen de me réapproprier mon corps et de m'affirmer, je me sens beaucoup plus forte !", se réjouit cette créatrice engagée de vingt-neuf ans. Ce geste n'éclot pas de nulle part. Lâcher le haut, c'est s'aérer. Respirer. "C'est un moment de liberté", approuve Manon, vingt-cinq ans. Habituée des paysages normands, la voyageuse estivale profite de ses escales annuelles sur les plages manchoises pour oser le topless, en compagnie de sa soeur. Aux alentours, il n'y a quasiment personne, le calme est apaisant, elle est en bonne compagnie. Et s'amuse tout de même "de ce léger côté provoc'" qui la fait se sentir plus forte. "Celles qui pratiquent le topless ont conscience de sa subversion. Elles le font pour faire bouger les lignes ou parce qu'elles ont un rapport sain à leur corps, qu'elles s'en battent la race. Dans les deux cas, ça ne plait pas et ça, peu importe l'époque ou la génération", théorise-t-elle.
S'en "battre la race" ne s'est pas fait du jour au lendemain. Depuis son adolescence, la jeune femme a du mal à se réconcilier avec son corps. D'ailleurs, cela fait déjà quelques mois qu'elle suit une thérapie. Et le topless a rapidement intégré ce long processus. Avec un peu de patience, elle a su y trouver "un sentiment de bien être instantané". Aujourd'hui, si il lui arrive de craindre un petit peu le regard des voisins lorsqu'elle s'accorde ce "petit moment", elle fait surtout en sorte de ne plus avoir peur du sien.
La topless-thérapie n'a rien d'une utopie. Et pourrait être l'un des moyens, envers et contre tous, de s'émanciper de ces regards déplacés qui oppressent. "Cet été, j'ai fait mon premier topless !", s'enthousiasme en ce sens Florence. Il a suffit de quelques jours de repos passés sur la Côte d'Azur, là où la pratique est plus coutumière. Moins "pervertie". Si se débarrasser de son maillot en compagnie de son petit ami lui a fait le plus grand bien, ce n'est pas juste parce qu'elle a pu éviter les marques de bronzage lourdingues. Non, cela lui a surtout permit de prendre un peu de recul face à un corps dont elle n'est pas la première groupie.
Autour d'elles, nombreuses étaient les femmes de plus de cinquante ans à oser le topless. Sans se soucier de ce que l'on pourrait dire de leurs rides, vergetures et formes. De quoi réjouir Florence. "Le topless est une manière de montrer la diversité des corps et notamment de formes de tétons, une source de complexes chez les femmes", dit-elle. Elle compare cela aux douches des vestiaires féminins. Le topless n'est pas simplement réservé aux mannequins aux physiques dits "parfaits". La preuve, c'est que même ces modèles de beauté ne sont jamais à l'abri de la malveillance : il suffit de voir les réactions exacerbées qu'ont suscité ces photos en bikini de Cindy Crawford, soi-disant "trop âgée" pour poser ainsi. Si séduction il y a, elle est pour soi : il s'agit simplement de s'aimer soi-même. Un self-care essentiel.
Alors, le topless s'éteint-il avec "l'effet #MeToo", comme nous l'affirmait l'institut de sondage ? Non. C'est même tout l'inverse. D'une part, car il se poursuit et se réinvente, au gré des points de vue et des sensibilités. D'autre part, car les débats soulevés par #MeToo vont justement dans le sens de cette libération générale. Stéphanie en est persuadée. Si cette trentenaire se trouve "plus élégante en deux-pièces", elle saisit tout à fait la force de la pratique. Et sent poindre les étincelles d'une révolution. A l'écouter, l'air du temps invite davantage à "pousser les limites, détruire les préjugés, susciter la réflexion" au sein des cellules pros, familiales, conjugales. "L'effet #MeToo encourage justement celles qui le souhaitent à se montrer seins nus si elles le veulent sans se demander si elles se feront lourdement aborder", atteste en écho Célia. Et si le topless vivait un salvateur renouveau ?