Sur les routes du Tour de France, en juillet, la petite reine est exclusivement une affaire d'hommes, un comble. Alors que Froome écrase la concurrence à plus de 100 tours de pédales par minute dans les cols pyrénéens, le peloton féminin est, une fois de plus, tenu à l'écart de la plus prestigieuse des courses cyclistes. Si Amaury Sport Organisation (ASO), la société organisatrice du Tour, a finalement consenti à faire une petite place aux coureuses à travers une épreuve baptisée "La Course by Le Tour", celle-ci se déroule dans l'indifférence quasi générale, comme en témoigne le mini-site consacré à l'événement pas franchement fourni.
En effet, depuis l'an passé, quelque 120 coureuses cyclistes ont le droit de se défier au cours d'une course de 13 tours sur les Champs-Elysées, celle-ci se déroule en lever de rideau de la 21e et dernière étape du Tour de France. 89 km féminins sur 3 360 km d'épreuve masculine obtenus après une pétition adressée au directeur du Tour, Christian Prudhomme, en juillet 2013, par la Britannique Emma Pooley, l'Américaine Kathryn Bertine et la Néerlandaise Marianne Vos .
Les quatre cyclistes y défendaient la création d'une compétition féminine au Tour, "sur les mêmes distances, les mêmes jours, avec des modifications dans les heures de départ et d'arrivée de la course pour que les coureurs d'un sexe n'interfèrent pas avec ceux de l'autre". La pétition signée par 90 000 personnes n'avait pas franchement ému Christian Prudhomme. "On est ouvert à tout. Avoir des courses féminines est très important, bien sûr. Mais le Tour est une machine énorme et on ne peut pas le rendre toujours plus gros. C'est impossible", avait-il commenté.
Un Tour de France féminin est pourtant loin d'être une idée neuve. Ainsi, Jean Leulliot, fondateur de l'hebdomadaire Route et Piste, avait lancé le 28 septembre 1955 une Grande Boucle pour dames en cinq étapes, dont un contre-la-montre individuel de 25 km. Verdict du pas si progressiste Leulliot à l'issue de l'épreuve : "Elles ne savent pas démarrer, restent sur leurs jambes le soir (...) pour aller faire les magasins et bavardent trop". Il faudra attendre 1984 pour que la société du Tour de France organise finalement un Tour de France féminin.
Une épreuve de 18 étapes, disputée sur une partie du tracé masculin avant le passage de la caravane publicitaire. La course de 1 066 km sera remportée par l'américaine Marianne Martin à une moyenne de 35,9 km/h. Après quelques années - qui laissent le temps à Jeannie Longo de remporter trois fois l'épreuve - le Tour version femmes s'arrête. "La Grande boucle féminine (courue en août, ndlr) prend le relais. La première édition, en 1992, est une réussite", précise le journaliste Pierre Godon sur FTVI . Et de poursuivre : "Tous les ingrédients sont réunis (...) Jusqu'à 80 000 spectateurs lors des étapes de montagne disputées sur les pentes de Luz-Ardiden, Vaujany et l'Alpe d'Huez". Faute de moyens, la course ne se dispute plus depuis 2009.
Depuis, La Route de France internationale, organisée la deuxième semaine d'août dans l'Est de la France, est la principale épreuve cycliste féminine dans le pays. Et les 300 euros réservés à la lauréate de la compétition (à titre de comparaison, 450 000 euros sont versés au vainqueur du Tour de France) ne sont pas suffisants pour attirer les grands noms du peloton féminin, dont Pauline Ferrand-Prevot.
A 23 ans, la coureuse française de l'équipe Rabo Women, championne du monde en titre, préfère s'aligner sur des courses répertoriées au calendrier du l'Union cycliste internationale (UCI), comme le Giro Rosa d'Italia, course la plus relevée du circuit féminin, dont elle a remporté, le 8 juillet, l'étape de montagne reliant Trezzo sull'Adda au sommet d'Aprica. Une épreuve d'envergure, diffusée par la télévision italienne, inenvisageable à l'heure actuelle en France.
La faute à un processus de professionnalisation qui peine à se mettre en place. Aujourd'hui, seulement 10% des 120.000 licenciés répertoriés par la Fédération française de cyclisme (FFC) sont des femmes et les grosses écuries du cyclisme masculin, comme AG2R La Mondiale, Cofidis ou FDJ, ne financent pas d'équipes féminines, "contrairement [à des équipes étrangères] comme Lotto, Astana ou Orica GreenEdge", rappelle FTVI. Des coureurs professionnels dont la rémunération, fixée dans le cadre d'un accord paritaire avec l'UCI, ne peut passer sous la barre des 33.000 euros par an, soit 2.750 euros par mois. Or, ce "SMIC de la pédale" n'existe pas chez les femmes et ce malgré les volontés de féminisation du cyclisme affichées par le président de l'UCI, Brian Cookson, "déterminé à défendre et promouvoir le cyclisme féminin", selon l'instance .
Pour tenter de combler une partie du retard, la FFC a mis au point, dans le cadre de conventions d'objectifs élaborées en partenariat avec l'Etat , un plan de féminisation concernant la pratique sportive, l'encadrement et la formation qui entend notamment, d'ici à 2017, "développer le calendrier d'épreuves féminines internationales" et "organiser une épreuve à étapes internationale à forte médiatisation". Reste que sans un appui massif d'ASO et une utilisation de la marque Tour de France, la tâche s'annonce ardue...