Sur Instagram, les esprits s'éveillent peu à peu. En ce mois de juin placé sous le signe des Fiertés LGBTQ+, de plus en plus de voix se libèrent afin de valoriser les transidentités au sein du réseau social. Un travail de visibilité conciliant bienveillance et militantisme, pédagogie et témoignages. En mots, en photos... et en dessins.
Des esquisses, c'est ce que l'on trouve du côté du compte Bienveillance en spray. Son instigateur, Liam, se définit comme "un mec trans de 21 ans". Au fil de ses dizaines de publications, le jeune homme délivre des "strips" queer aussi instructifs et factuels qu'intimes à ses milliers de followers. Des BD susceptibles d'éveiller la conscience de celles et ceux qui - moins par malveillance que par ignorance - ont encore trop souvent tendance à "mégenrer" autrui.
"Se découvrir trans et l'accepter", "C'est quoi, transitionner ?", "Trois exemples de transphobie médicale", "La transphobie administrative", "L'objectification des corps trans"... D'un post à l'autre, Bienveillance en spray déconstruit aussi bien les individus (et leurs réflexions) que la société trop peu inclusive qu'ils occupent. En ressortent des constats forcément déprimants, mais également percutants, limpides, et riches de sens.
Pour Terrafemina, Liam nous en dit plus sur ses dessins salutaires, son coming-out et la légitimité de la "colère militante", mais aussi sur les violences, diverses et insupportables, que subissent les personnes trans.
Liam : Je dessine des "strips" qui abordent les notions liées à la transidentité et aux militantismes queer. J'essaie de détailler au maximum mes explications tout en restant très bienveillant et pédagogue. J'envisage le compte comme un répertoire de ressources simples et compréhensibles. Au départ, j'avais l'idée d'un petit compte BD qui évoquerait comment c'est de vivre la transidentité au quotidien sans expliquer toutes les notions.
Mais en côtoyant d'autres personnes trans, je me suis rendu compte que la majorité des violences qu'on subit résultait d'un immense manque d'informations. En fait, beaucoup de ressources existent déjà sur internet, même en français. Mais elles demandent parfois beaucoup de temps pour être lues et comprises. J'ai donc voulu les résumer dans un format court et efficace.
Liam : J'ai réalisé que j'étais trans en seconde mais je n'ai pas fait de coming out "officiel" avant d'entrer en études supérieures. J'avais donc 18 ans quand j'ai assumé mon identité et j'ai commencé les démarches la même année. J'ai la chance d'avoir un entourage très compréhensif. Ma mère m'a énormément soutenu et aidé dans mes démarches, je n'en serai pas où j'en suis sans elle.
J'ai donc eu un parcours assez rapide et privilégié par rapport à la majorité des personnes trans qui doivent faire face au déni voire au rejet de leur entourage.
Liam : J'ai des retours très positifs, les messages transphobes sont très rares, je peux les compter sur les doigts d'une main. En général, les personnes qui me font des retours disent qu'elles ont appris des choses avec mes strips, et qu'elles comprennent pourquoi certains de leurs comportements sont problématiques.
J'ai souvent beaucoup d'ami·e·s de personnes trans qui me posent des questions sur les manières d'apporter leur soutien et d'éviter les comportements transphobes. Les retours qui me donnent le plus d'espoir sont ceux des parents qui veulent s'informer pour la transition de leur enfant.
Une majorité des personnes trans ne sont pas soutenues par leurs parents, ça fait du bien de voir le phénomène inverse. Je reçois aussi beaucoup de questions de la part de personnes trans en début de transition qui veulent comprendre les démarches à effectuer et qui ne trouvent pas de réponse claire sur internet.
La majorité des questions que je reçois viennent de personnes en début de transition qui ont besoin de conseils pour leur coming out ou les démarches à effectuer. Il y a aussi des proches de personnes trans qui viennent me demander des conseils sur l'attitude à adopter. Certaines personnes veulent aussi des précisions sur mes dessins, ou demandent à ce que traite certains sujets précis (il m'est arrivé quelques fois de faire des strips en réponse à certains messages privés).
Liam : Dur de trouver les pires, ils sont tous assez néfastes... "La transidentité est une maladie mentale", je l'ai déjà entendu plusieurs fois avant mon coming out... Heureusement, une majorité de gens savent que ce n'est pas le cas. Malgré tout, il y encore une psychiatrisation imposée en France pour transitionner médicalement.
"Les personnes transgenres sont des drag queen" : les deux n'ont rien à voir. Faire du drag, c'est juste le temps d'un show, c'est une performance. Être trans non seulement, c'est toute la vie, mais c'est aussi bien plus qu'une simple question d'apparence et de codes genrés : c'est découvrir son identité, apprendre à l'accepter et l'assumer aux yeux des autres.
"Les personnes trans changent de genre/ se font passer pour l'autre genre" : non, être trans, ce n'est pas se déguiser ou devenir quelqu'un d'autre. C'est découvrir son vrai genre et l'assumer. Il n'y a pas de transformation soudaine, pas de changement. On reste la même personne, on devient juste plus épanoui·e.
"Les personnes trans prennent des hormones et font systématiquement des opérations" : non, c'est le cas pour beaucoup mais il y a aussi des personnes qui ne transitionnent pas médicalement, parce qu'elles n'en ont pas les moyens ou pas besoin. Et leur identité est tout autant légitime.
"Il n'y a que deux genres et les personnes qui se disent non binaires ont un souci mental" : il existe plus de deux genres, c'était reconnu dans beaucoup de sociétés avant la colonisation. Les personnes non-binaires font partie du spectre de la transidentité et il est important et primordial de reconnaître leur existence.
Liam : C'est très dur, surtout dans les cas où tout notre entourage est transphobe. L'idéal est d'avoir des proches qui respectent notre identité avec qui discuter des violences qu'on vit au quotidien ou juste se changer les idées. On peut leur demander de nous aider à répondre aux remarques, de corriger les mégenrages à notre place. Ça rend la transphobie plus supportable. Ça peut aussi être parler avec d'autres personnes trans sur internet.
En début de transition, on est souvent plus touché·e par les remarques transphobes car on assume pas encore totalement. Pour parler de mon vécu, en devenant à l'aise avec mon corps et en étant reconnu dans mon genre, j'ai gagné en assurance et ça m'a permis de prendre une distance nécessaire avec la transphobie pour qu'elle m'affecte moins et que je puisse y répondre de manière plus détachée.
Liam : La pédagogie fait régresser l'intolérance. Mais ça demande beaucoup de patience et d'énergie aux concerné·es. C'est normal et légitime que certaines personnes réagissent violemment aux propos oppressifs. Quand on est trans, on subit des discriminations quotidiennes qui peuvent peser lourd sur les nerfs. Certaines personnes n'ont pas un entourage compréhensif et doivent justifier leur légitimité dans leur genre tout le temps.
C'est épuisant et ça entraîne beaucoup de frustration. La colère militante est justifiée et dans certains cas plus efficace que la pédagogie. Je vois les deux comme complémentaires et pas opposées. Il y a plusieurs types d'intolérance, c'est donc normal qu'il y ait plusieurs réponses.
Liam : La visibilté trans progresse en effet, mais elle est toujours trop faible. Le jour où elle sera suffisante, il n'y aura plus besoin de parler de "visibilité", il y aura juste une diversité vue comme normale des profils présentés. En fait, la communauté trans et militante sur Instagram grandit mais elle reste à part entière. Une personne qui est sur Instagram pour autre chose que du militantisme ne sera jamais dirigée vers ce type de contenu.
C'est dû à une invisibilisation de nos comptes par les algorithmes et aussi à la psychologie humaine : une personne cisgenre qui n'a pas spécifiquement besoin de se renseigner sur la transidentité ne va souvent pas le faire d'elle même. C'est pour ça qu'il est important de partager du contenu militant, même lorsqu'il ne nous concerne pas.
Liam : Je pense que oui car ça permet une meilleure diffusion des problématiques qui touchent les minorités, et aussi de l'auto-support. Ce qui est très bénéfique pour la confiance en soi. Les côtés négatifs de ces phénomènes sont les débats stériles et les conflits qui peuvent se former. Malgré tout, les polémiques ont au moins l'intérêt de parler de certains sujets méconnus du grand public, qui peut par la suite aller s'informer.
Liam : C'est l'un des objectifs principaux de mon compte, j'essaie de créer le contenu dont j'aurais eu besoin avant mon coming out. J'ai souvent des retours de jeunes qui me disent que mes posts les aident à s'informer, à s'assumer et à sensibiliser leur parents. A se sentir moins seul·e aussi. C'est très motivant de savoir que mon compte atteint ses objectifs et permet plus de bienveillance.
Liam : @agressively_trans : le compte de Lexie qui fait un énorme travail quotidien d'information et de sensibilisation. C'est toujours très clair et bien argumenté.
@lecoindeslgbt : le compte qui parle de toute la communauté queer de manière très inclusive et précise.
@crazyden_ qui évoque beaucoup d'aspects de la transidentité de manière très détendue et bienveillante.
@stalileon : simple, revendicatif et toujours très clair.
@intersexe_info : car les personnes intersexes sont invisibilisées dans la communauté queer.
@here_we_come_out : les témoignages personnels de coming out, qui montrent la réalité des vécus queer aujourd'hui.
Liam : Oui, énormément. Nos droits avancent petit à petit, mais nos vécus sont toujours minorisés, souvent exotisés, objectifiés et racontés par d'autres personnes que nous. Cela se constate surtout dans le milieu du cinéma, où le peu de rôles trans sont écrits et joués par des personnes cis; alors même qu'il est très dur de percer en tant qu'acteur ou actrice trans à cause des discriminations au casting.
Personne ne pense à des personnes trans pour jouer des personnes cis, et nos propres rôles nous passent sous le nez. Cette invisibilisation se ressent aussi au sein de la communauté LGBT+, avec beaucoup de transphobie mais surtout d'intersexophobie. Beaucoup d'association LGBT+ agissent pour les droits des "LGB" et oublient nos vécus.
Cela s'est aussi ressenti lors du débat sur l'adoption de la loi pour la PMA : la question de la transparentalité a été balayée en quelques minutes avec une ignorance considérable concernant nos réalités.
Liam : La chose la plus simple à faire est d'aider et de montrer son soutien aux personnes trans de notre entourage : les aider à répondre à la transphobie, leur montrer que leur identité et légitime, corriger à leur place les mégenrages quotidiens.
Il y aussi un gros travail de sensibilisation et de déconstruction : pour défendre les droits des personnes trans sans être à côté de la plaque, il faut être renseigné·e sur leurs vécus, les discriminations qu'elles subissent et comment celles-ci fonctionnent ( patriarcat, hétéronormativité, binarité du genre, sexisme, invisibilisation, difficulté d'accès aux parcours de transition, etc...).
Connaître les effets des hormones et le déroulement des opérations n'est pas suffisant ou pertinent, contrairement à beaucoup d'idées reçues. Enfin, il faut apprendre à rester à sa place : laisser s'exprimer les concerné·es avant tout et diffuser leur vécus et revendications. Les réseaux sociaux sont très utiles pour partager du contenu militant fait par des concerné·e·s.
Il est aussi important d'utiliser son privilège cisgenre pour contrer les propos transphobes entendus au quotidien. Profiter du fait qu'on ne soit pas atteint·e directement par le propos et donc moins blessé·e pour pouvoir y répondre avec discernement.
Liam : Mes principales revendications sont la dépsychatrisation des parcours de transition, la simplification de la procédure de changement d'état civil (cela se fait toujours au tribunal) voire la suppression de la mention de genre à l'état civil. Mais aussi l'intégration des personnes trans dans la procédure de PMA. Il serait aussi important de faire de la sensibilisation LGBT+ dans les écoles avec des personnes concernées.