Sur Instagram, les esprits s'éveillent peu à peu. Alors que l'on célébrait en mai dernier dernier la journée mondiale contre l'homophobie et la transphobie, et que ce mois de juin est placé sous le signe des Fiertés LGBTQ+, de plus en plus de voix se libèrent afin de valoriser les transidentités au sein du réseau social. Et ainsi de leur garantir une visibilité bienveillante, aux antipodes d'une haine (trop) ordinaire et banalisée (J.K Rowling en sait quelque chose).
Éclairer, soutenir, informer, c'est là l'intention multiple du jeune homme transgenre Léon. Cela fait déjà plus d'un an que ce féministe queer s'exprime (et nous instruit) sur son compte @salinleon. D'une publication à l'autre, l'éventail de thématiques est vaste et pédagogique : non-binarité et violence du mégenrage, prise d'hormones, pouvoir de l'écriture inclusive et incompréhensions diverses suscitées par l'identité de genre.
Pour Terrafemina, Léon nous en dit plus sur son parcours intime, l'espace de parole atypique qu'incarne Instagram, mais aussi l'abondance de préjugés dont font encore l'objet les personnes trans. On écoute.
Léon Salin Chappuis : La première visée de mon compte est de créer de la visibilité trans* positive (j'utilise l'étoile afin de visibiliser les personnes trans* non-binaires- qui ne se ressentent ni homme ni femme). En fait, c'est via Instagram que j'ai réalisé ma propre transidentité. Un jour, je suis tombé sur le compte d'un homme transgenre new-yorkais, et en voyant ses photos, en le voyant beau et heureux, je me suis rendu compte que c'était moi, et que j'étais aussi un homme trans. Après cette expérience, j'ai voulu recréer cette sensation pour d'autres personnes à mon échelle.
Le but est également de créer de la documentation sur les personnes trans* en français, pour la francophonie. Instagram se prête bien à la création de visibilité vu que c'est une plateforme premièrement visuelle. Alors cette plateforme m'a semblé comme la plus adéquate pour propager une belle image de moi-même afin de changer les représentations, souvent négatives, que les gens ont des personnes trans*.
Léon Salin Chappuis : J'ai commencé ma transition sociale en septembre 2018 et ma transition médicale en juin 2019. J'avais 21 ans. Ayant grandi dans un petit village peu ouvert d'esprit, j'ai attendu d'avoir déménagé dans une grande ville. D'abord je vivais une double vie : dès que je rentrais au village, je redevenais fille. C'était très douloureux. Cependant, une fois que j'ai pris la décision de prendre de la testostérone, je ne pouvais plus le cacher à ma famille, vu que mon corps allait changer.
Alors j'ai pris mon courage à deux mains et je leur ai écrit une lettre dans laquelle j'expliquais que j'étais un homme. A mon grand soulagement, mes parents m'ont accompagné dès le début. Ma soeur a fait le travail de leur expliquer plus en détail ce que je vivais, et moi j'ai attendu que leur première réaction soit passée avant de les voir.
Le plus difficile était l'acceptation de mon nouveau prénom et des nouveaux pronoms. Ils étaient très attachés au prénom qu'ils avaient choisi ; donc, mon morinom (le prénom assigné à la naissance) resurgissait quand je les voyais, ce qui était invivable.
Du côté administratif, j'ai rencontré beaucoup d'obstacles. Lorsque j'ai voulu modifier mon prénom à l'état civil, j'ai dû attendre plus de 6 mois après avoir envoyé ma demande. C'était devenu impossible de présenter mon ancienne carte d'identité : je ne ressemblais plus à la personne dessus et je refusais de la montrer. De plus, je n'ai pas pu changer de genre officiel au risque de ne plus avoir accès à mes ovocytes congelés, qui ne seraient plus reconnus comme étant les miens si mon genre officiel devenait "masculin".
Ensuite, j'ai été obligé de changer d'assurance pour avoir mes hormones et mes opérations remboursées. Mon ancienne assurance refusait de me rembourser ma torsoplastie car "je n'étais pas transgenre depuis assez longtemps pour être sûr de moi" (la torsoplastie est un terme qui désigne la mastectomie. Mais je préfère le terme torsoplastie car il ne souligne pas l'existence de poitrine).
Alors j'ai dû attendre 6 mois de plus pour changer d'assurance avant de pouvoir planifier ma torsoplastie.
Tous ces obstacles administratifs sont bien la preuve qu'aujourd'hui, les personnes trans* ne disposent pas librement de leurs corps. Nous ne pouvons pas décider de sa forme, ni de son apparence, ni de sa possibilité de reproduction...
Léon Salin Chappuis : La grande majorité des réactions sont positives et admiratives. Si ce sont des personnes trans*, j'ai beaucoup de messages privés où elles et ils m'écrivent que je suis un modèle, une inspiration. Ce sont des messages qui me font énormément plaisir et qui me rappellent les buts initiaux de ce compte. Je reçois aussi beaucoup de questions pratiques comme : "Qui est ta chirurgienne ?", "Comment faire mon coming-out ?", "Est-ce que je peux faire une torsoplastie sans prendre de la testostérone ?", "Comment faire le changement de prénom en Suisse ?".
Beaucoup m'écrivent aussi pour me faire part de leurs questionnements : "Je ne suis pas sûr mais je crois que je suis comme toi, comment as-tu vraiment su ?", ou encore "Mon copain est un mec trans, comment dois-je me comporter ?". Je reçois environ 3 questions de ce type par jour. Normalement, j'y réponds à toutes.
Pour moi, c'est une partie importante de mon travail sur Instagram, j'ai envie d'être utile à toutes ces personnes et qu'elles et ils puissent avancer dans leurs transitions. Malheureusement, je reçois aussi beaucoup de messages et de commentaires haineux. Quand c'est sous les posts, je laisse mes followers y répondre car je n'ai pas la force mentale de faire constamment face à toute cette haine. Si c'est dans mes messages privés, en général je bloque directement la personne.
Ce type de message va de la fétichisation : "Je n'ai jamais couché avec un trans", jusqu'à l'agression violente : "Tu es une abomination, tu resteras toujours une fille". Ces messages font mal, sont difficiles à gérer, et m'atteignent.
Léon Salin Chappuis : L'imaginaire autour des personnes trans* est très négatif. Les gens vont souvent penser que nous somme malades, moches, tristes, prostitué.e.x.s, marginaux et j'en passe (j'utilise l'écriture inclusive car je me positionne contre la domination du masculin sur le féminin. Les "x" servent à souligner l'existence des personnes trans* non-binaires). Ceci est dû au fait que nous sommes toujours représenté·e·x·s comme tels dans les médias.
Je précise ici qu'il n'y a rien de mal à être malade ou prostituté.e.x. Cependant, les personnes les associant aux personnes trans* le font de façon péjorative.
Léon Salin Chappuis : Il faut trouver un juste milieu. Personnellement, je ne réagis pas toujours à la transphobie quotidienne. Il y a des jours où je me sens puissant, alors je vais avoir l'énergie de réagir à un commentaire transphobe. Suivant le niveau d'agressivité de la personne, je vais essayer d'être pédagogue. Mais les agressions transphobes les plus violentes sont faites par des personnes qui ne veulent pas apprendre, alors je peux aussi être agressif.
Léon Salin Chappuis : Pour moi, c'est une des options. Je n'ai pas l'énergie d'être tout le temps pédagogue. Je le fais sur Instagram car c'est un espace délimité. Être pédagogue demande une énergie folle, et dans la vie de tous les jours, je demande aux personnes ignorantes d'aller se renseigner sur Instagram : je ne suis pas un dictionnaire ambulant !
Léon Salin Chappuis : Je perçois une augmentation importante, et j'en suis ravi. Cependant, elle est toujours trop maigre, ce qui concentre la pédagogie sur quelques comptes, les rendant représentatif de toute la communauté trans*.
Cet engouement récent pour la communauté trans* vient, selon moi, de la révolution féministe que nous vivons actuellement. Avec le féminisme, les constructions de genre ont été étudiées, et les personnes trans* sont au centre de ces questionnements.
Par exemple, mon expérience en tant qu'homme trans* est une preuve ambulante du sexisme profond de la société : ayant été perçu comme une femme auparavant, et maintenant comme un homme, j'ai vraiment vécu la différence de traitement suivant le genre.
Les différences sont flagrantes : actuellement, on ne me coupe plus la parole comme avant, les autres hommes m'écoutent, on ne me coupe plus le chemin dans la rue, les autres hommes se poussent etc..
Léon Salin Chappuis : Oui, pour moi l'activisme digital a un rôle décisif sur les mentalités. Le travail effectué par les militant·e·x·s digitaux est vital à l'évolution de la société : il est à la fois le reflet et le moteur des changements de mentalités.
De plus, il est primordial que les gens s'informent sur la transidentité par du contenu créé par les personnes trans*. Alors, les réseaux sociaux permettent l'accès à de l'information produite par les personnes concernées, ce qui est difficilement trouvable autre part.
Léon Salin Chappuis : Oui, j'en suis certains puisque beaucoup me l'ont dit par messages : "Grâce à ton compte, j'ai osé en parler à ma famille". De plus, la majorité des messages que je reçois sont écrits par des jeunes personnes trans*, qui n'ont pas d'autres personnes à qui en parler. Faire un coming out trans* peut être extrêmement difficile, et entendre que d'autres l'ont fait aide beaucoup à avancer.
Léon Salin Chappuis : Lexie (Aggressively_trans), indyamoore, Mickaël Gérard (mickagrd), claude.emmanuelle, trans_in_color, crazyden_ ...
Léon Salin Chappuis : Oui, énormément. Nous sommes au tout début de la lutte pour les personnes trans*. La grande majorité des lois nous discriminent encore, nous sommes contrôlé·e·x·s et vu comme une atteinte à la morale de la société. Il faut encore faire évoluer les mentalités en plus des lois, et ça prend du temps. Il est nécessaire de plus nous donner la parole et de plus nous rendre visible.
Léon Salin Chappuis : Premièrement, le rôle des allié·e·s est de s'informer correctement, justement en lisant les ressources à disposition, notamment sur les réseaux sociaux. Il faut prendre conscience de son privilège en tant que personne cisgenre et le mettre à profit pour aider les personnes transgenres. Par exemple : expliquer à ses autres amis·e·s cisgenres qu'il est important de suivre des comptes de personnes trans* militantes pour s'informer.
Deuxièmement, il faut apprendre à demander le pronom d'une personne afin de ne pas la mégenrer (c'est-à-dire utiliser le pronom ou l'accord non-choisi par la personne trans). Il est primordial de respecter le prénom et le pronom d'une personne trans*. Si vous n'êtes pas habitué·e à l'utiliser, il faut s'entraîner quand la personne en question n'est pas présente.
Troisièmement, il ne faut plus laisser passer les commentaires transphobes de son entourage. En tant qu'allié·e, si un personne émet une opinion (ou blague) transphobe, même quand il n'y pas de personnes trans* autour, il faut intervenir et exprimer son désaccord avec cette transphobie.
Quatrièmement, sur les réseaux sociaux, les allié·e·s peuvent relayer les informations créées par les personnes transgenres, visibiliser leurs comptes et répondre aux commentaires haineux.
Léon Salin Chappuis : Je vise l'autodétermination complète pour les personnes trans*. C'est-à-dire l'abolition du certificat de dysphorie de genre, actuellement nécessaire pour toute procédure administrative ou médicale. Ce certificat pathologise nos transidentités car il peut seulement être délivré par un.e.x psychiatre, qui peut parfois demander 2 ans de suivi avant de le délivrer. Personne n'a le droit de dicter le rythme auquel nous voulons mener nos transitions.
Je rêve aussi d'un libre accès à la procréation médicalement assistée pour les personnes trans*, de l'abolition du genre sur les documents officiels, d'une loi contre la transphobie, de toilettes non-genrées dans l'espace public...