Laurence Touitou : Tout est parti d’un concours de circonstances. Je vis depuis trois ans en Tunisie, et lors d’un dîner j’ai rencontré Philippa Neave, du Programme des Nations Unies pour de le développement (PNUD). Elle avait pour mission de sensibiliser la population, et notamment les jeunes, au vote en vue de l’élection de l’Assemblée constituante du 23 octobre. Etant donné mon expérience dans la musique, le passé me rattrapait, vivre dans un pays où de tels évènements ont lieu et rester les bras croisés est assez difficile. Je ne peux pas voter, donc j’ai trouvé un autre moyen d’agir. Nous avons donc regroupé une dizaine d’artistes montants de la scène alternative tunisienne, qui incarnent un lendemain pour la Tunisie. Je les ai laissés composer librement, car je ne voulais pas d’un texte de propagande. Au final le résultat est très poétique, ces artistes ont fait un travail remarquable.
L. T. : La page Facebook de la chanson regroupe 18 000 fans, le clip a été vu 130 000 fois sur Viméo, c’est un succès formidable. « Enti Essout » passe sur toutes les radios et est devenue un tube. Les gens me disent que cette chanson, après des mois d’apprentissage de la démocratie et d’une relative cacophonie, fait revivre l’esprit de la révolution.
L. T. : On craint une faible participation générale en effet. Il y a 7 millions d’électeurs en Tunisie, ils ne sont que 3,5 millions à s’être inscrits sur les nouvelles listes électorales. Cette démocratie est vierge et habituée à la passivité après plus de 20 ans de mono-pouvoir. Les jeunes autour de moi –j’habite en banlieue de Tunis- sont motivés, mais qu’en est-il des régions intérieures ? On n’en sait rien. Des caravanes et des bus ont sillonné le pays, qui a besoin d’une démarche pédagogie et de retrouver confiance dans l’acte de voter.
L. T. : Pendant la dictature de Ben Ali, cela ne se voyait sans doute pas de l’extérieur et dans le quotidien des gens, mais le peuple était abattu, les artistes ont fait ce qu’ils ont pu, certains sont partis, d’autres sont restés et ont tenté de vivre comme ils le pouvaient… Pendant la Révolution, la culture n’était évidemment pas la première urgence, mais des initiatives sont nées un peu plus tard, au cours du printemps. Le photographe JR est venu pour orchestrer le projet « artocratie » : une centaine portraits de Tunisiens de tous âges ont été placardés dans 4 villes du pays. Des artistes se sont mobilisés pour créer des affiches incitant au vote et ont exposé leur travail dans une librairie de Tunis. En voyant cela, j’ai vraiment compris qu’on était passé dans « l’après » de la dictature et de la révolution. Le monde culturel se libère de ses carcans, et l’appétit de créer est revenu.
crédit photo : Douraid Souissi
Le clip de la chanson sur Viméo
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