"Est-ce que vous comprenez ce que ça veut dire d'avoir peur de mourir tous les jours ?" Le procès de Valérie Bacot, 40 ans, accusée d'avoir assassiné son mari Daniel Polette, de 25 ans son aîné, est glaçant. A la barre, cette femme et mère de 4 enfants livre le calvaire qu'il lui a infligé depuis ses 12 ans. A l'époque, il est le compagnon de sa mère, son beau-père. Et déjà son bourreau.
"Ça a commencé, il ne voulait pas que je ferme la porte de la salle de bain à clé, 'ta mère est sale', me disait-il, 'Je vais t'expliquer comment il faut faire pour se laver, tu me remercieras quand tu seras plus grande'. Il a commencé par me mettre de la crème, plus les jours passaient, plus ça allait loin, jusqu'à ce qu'il me viole", raconte-t-elle le jour de l'ouverture du procès, rapporte Le Monde.
Par peur, elle acceptera de l'épouser sous la contrainte. Il lui fera 4 enfants, sans jamais arrêter de la battre. Elle se souvient des menaces de mort avec pistolet sur la tempe, des coups, et de la façon dont il l'a forcée à se prostituer à l'arrière d'un véhicule aménagé. "Une fois, j'ai dû le faire pour une poignée de pièces, il m'a dit : 'Tu le fais, ça paiera l'essence, on n'est pas venus pour rien'", lâche-t-elle.
Pour attirer les clients, il distribuait des cartes de visite sur les aires d'autoroute. Dessus, le terme "escort girl" et un numéro de téléphone. Sur le pubis de la jeune femme, les mots "Dany" tatoués à coups d'aiguilles trempées dans l'encre par l'homme, comme pour indiquer à qu'elle était "à lui". "Je ne cherchais pas à comprendre si c'était consenti ou pas, je faisais ce qu'il voulait, quand il voulait", poursuit Valérie Bacot.
En face, l'avocat général lui reproche de ne pas avoir alerté les forces de l'ordre : "Dans une vie normale, si je prends un coup, je vais voir les gendarmes", ose-t-il. Au micro d'Europe 1, Nathalie Tomasini, l'une des avocates de Valérie Bacot, le qualifie de "l'exemple même de ces magistrats qui ne comprennent pas encore qu'une femme sous emprise ne peut pas dénoncer son bourreau".
"Si j'y allais, ils allaient me garder longtemps", rétorque l'accusée, expliquant que ses enfants, eux, s'y sont rendus deux fois - passages dont les établissements n'ont aucune trace, précise Le Monde. "Si je n'étais pas là quand il rentre, il allait le savoir (...). Quand les gamins sont revenus de la gendarmerie, ils m'ont dit qu'on leur avait dit qu'il y aurait peut-être une mesure d'éloignement après enquête, mais moi, comment j'aurais fait en attendant, où aller sans argent, sans rien ?" Daniel Polette contrôlait tous ses déplacements, ses dépenses.
Comme beaucoup de femmes victimes de violence, Valérie Bacot subissait également une emprise financière, rendant son évasion quasi impossible. Ce qui fait office de déclencheur, ce sont les projets que semble avoir le défunt pour sa fille, Karline. Un soir, Valérie Bacot l'entend lui demander "comment elle était sexuellement, ses mensurations, ce qu'elle savait faire". Elle craint qu'il veuille la prostituer également.
Le 13 mars 2016, suite à une passe qui est "un viol en direct", précise Nathalie Tomasini, la mère de famille tire. "Elle s'est sauvée la vie", déclare à la barre Lucas Granet, ex-petit ami de Karline et confident, puis amant de Valérie Bacot. Cette dernière tue Daniel Polette d'une balle dans la nuque. "Je l'ai aidée à dissimuler le corps", poursuit le jeune homme. Il a alors 16 ans, et transportera le cadavre pour l'enterrer dans un bois avec les deux fils de l'accusée.
Ce que les magistrats cherchent encore à déterminer, c'est s'il y a eu préméditation ou non. Notamment, si le somnifère versé dans le café du défunt quelques heures avant sa mort faisait partie du plan. Auquel cas, sa victime risque la perpétuité.
"Notre rôle à nous, avocats de la défense, est de démontrer qu'il n'y a jamais eu de préméditation", martèle la magistrate sur Europe 1. "Il y a peut-être eu une pensée fugitive lorsqu'elle a pris cette arme, qui était une arme défensive, dont elle se servait, et dont Daniel Polette se servait pour se protéger d'une clientèle douteuse et dangereuse dans les aires d'autoroute. Mais en aucun cas elle ne souhaitait, elle ne voulait tuer Daniel ce soir-là."
Pour elle, cette histoire trahit, comme tant d'autres affaires de violences conjugales et de féminicides, les "dysfonctionnements du système police-justice". "Dans l'affaire de Valérie, c'est une multitude de dysfonctionnements de ce service de l'État qui seront également pointés du doigt et qui ont amené Valérie à n'avoir pas d'autre choix que de tirer pour ne pas mourir". Parmi eux, les manquements judiciaires qui ont permis au bourreau de continuer de sévir.
Incarcéré pour agression sexuelle sur Valérie Bacot lorsqu'elle était enfant - et sa belle-fille - il a réintégré le foyer à sa sortie de prison. "S'il avait été condamné pour viol avec une peine beaucoup plus lourde, toute cette histoire ne serait pas arrivée", affirme Nathalie Tomasini.